Republicain Lorraine
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Jeudi 18 Janvier 2001

Opéra du Rhin: un "Hollandais" de haut vol

STRASBOURG. - L'Opéra du Rhin, refusant le jeu convenu des commémorations de l'année Verdi, a ouvert l'année 2001 dimanche soir à Strasbourg avec un "Fliegende Hollander" (le Hollandais volant/le Vaisseau fantôme) de Richard Wagner dans une mise en scène audacieuse de Philippe Arlaud.

Le metteur en scène français définit le Vaisseau fantôme comme "un voyage au bout de la névrose". Il ne s'agit pas de l'errance du Hollandais maudit, comme on pourrait s'y attendre, mais du parcours mortel de Senta, la jeune fille qui se donne à lui pour briser le maléfice, incarnée par la soprano danoise Eva Johansson qui confirme à Strasbourg sa maîtrise du répertoire wagnérien.

Le capitaine ensorcelé (un impressionnant Norvégien, la basse Frode Olse) et son navire ne sont donc pas ici chargés d'exprimer la violence de la démence: Philippe Arlaud s'est réservé comme à son habitude les décors et les lumières et met en scène un vaisseau réellement fantômatique puisqu'il n'est signalé que par des voiles, des cordages et des passerelles.

C'est l'inondation de la scène qui manifeste l'irruption de l'inconscient à l'acte II, lorsque Senta déroule la prémonition qui la mènera à la schizophrénie (on comptera sur le plateau jusqu'à six de ses doubles) et à la psychose.

Vision névrotique

Autour de ce miroir liquide, la scène est strictement corsetée par "un mur d'eau qu'on traverse. D'un côté le réel, de l'autre l'idéal, le rêve", explique le metteur en scène.

Dans cet univers liquide jailli de sa vision névrotique, Senta est d'abord la victime de son entourage: de ses camarades qui ne lui proposent qu'un modèle assommant de vie conventionnelle, de la cupidité de son père Daland (incarné de manière très crédible par la basse allemande Markus Hollop, double presque parfait du marin maudit) et, enfin, de la duplicité du Hollandais.

"C'est un être diabolique, pervers (...). La base fondamentale de son caractère, c'est l'hypocrisie. (...) Il ne cherche pas à séduire Senta, puisqu'il ne veut pas l'aimer; il veut qu'elle accepte de se sacrifier pour lui", analyse Philippe Arlaud qui a reçu commande d'un "Lohengrin" à Bonn à l'automne 2001, et surtout d'un "Tannhauser" pour juillet 2002 à Bayreuth.

L'humour n'est pourtant pas absent de l'univers étouffant du "Fliegende Hollander", remarquablement exprimé par l'orchestre philarmonique de Strasbourg sous la baguette de la Britannique Julia Jones: sur scène, les choeurs de l'opéra du Rhin pataugent avec bonheur sous la conduite de la chorégraphe Christine Niclas. Le seul doute porte d'ailleurs sur la capacité des chanteurs à préserver leurs voix après avoir ainsi "mouillé la chemise".

 

Altamusica.com
20 juillet 2004

CRITIQUES DE CONCERTS

Nouvelle production du Vaisseau fantôme à l'Opéra du Rhin, Strasbourg.
Vaisseau en difficulté
L'Opéra du Rhin propose une nouvelle production du Vaisseau Fantôme. Quelque part entre Peter Greeneway et Lacan, la mise en scène de Philippe Arlaud navigue en eaux troubles.

Opéra du Rhin, Strasbourg
Le 18/01/2001
Mathias HEIZMANN

Le principal problème que soulève cette nouvelle production tient dans la quasi-impossibilité de faire d'un objet théorique une adaptation théâtrale littérale. La psychanalyse, aide précieuse pour qui veut décrypter et réinterpréter les œuvres, est grandement sollicitée par Philippe Arlaud : la totalisé du Vaisseau Fantôme est la vision de Senta, écrit-il dans le programme. De fait la Ballade de Senta, chantée à l'acte II, tient de la prémonition et ce sentiment de déjà-vu, ou "lecture avant l'heure", peut trouver son explication dans la psychanalyse. La piste est donc toute tracée : "l'eau n'est plus horizontale mais verticale"- elle coule le long des parois qui encadrent la scène,- elle ne supporte plus le fameux bateau mais fonctionne comme "un mur qu'on traverse", une sorte de frontière entre le rêve et la réalité. D'ailleurs Senta n'est plus une, mais multiple, le Hollandais et le père se confondent, " c'est le double du père, le père idéal absolu, celui avec qui on ne peut pas vivre, mais mourir " ; bref, on navigue entre Freud et Lacan.

Seulement, la représentation de tels concepts pose problème. La figure de la psychose, revendiquée par Philippe Arlaud, a beau être soulignée par les multiples "doubles" de Senta, elle demeure en fait irreprésentable par la seule mise en perspective de ses symptômes. Puisqu'on ne peut vivre dans la tête d'un fou et que l'on est réduit à spéculer sur des faits patents observés par les analystes, il paraît difficile d'intégrer spontanément un tel univers, surtout lorsqu'il est restitué par le jeu des symboles ou des métaphores.

À partir du deuxième acte, le décor ne bouge pratiquement plus : murs translucides, portrait du hollandais en noir et blanc, l'espace se remplie lentement d'eau dans laquelle père et fille, amant et fantôme, pataugeront en permanence. L'espace, à la fois abstrait et concret, achève de brouiller les pistes : ainsi l'élément liquide, grandement sonore, interagit avec les chanteurs. Comment accepter, en dehors de l'analyse, que la rencontre avec le père se passe dans l'eau d'une sorte de piscine ? Ce trouble est grandement accentué par la structure du premier acte qui installait une lumière et une atmosphère parfaitement suggestives et finalement assez terre à terre. Les symboles s'imposaient d'eux-mêmes, on était plongé au cœur du drame : des passerelles entourent la scène, le lieu est inquiétant, bref le tout possède une efficacité première qui ne prépare pas forcément aux jeux d'esprit proposés par la suite.

Ainsi la faiblesse de ce travail vient précisément de son érudition. Soit il plonge le spectateur dans l'incompréhension la plus grande, soit il passionne mais interdit tout "laisser aller".

La réalisation musicale, pourtant, aurait dû nous faire frissonner jusqu'aux orteils. Si l'on excepte une ouverture un peu rapide, parfois imprécise et surtout assez peu déchaînée, l'orchestre, sous la baguette de Julia Jones, se montra assez beau joueur. Les chanteurs, tous parfaitement investis de leurs rôles, semblaient parfois lutter contre les éléments pour faire valoir ce que la musique et le sujet portent aussi : un drame humain assez simple où il est question d'amour, d'angoisse de la perte, de peur de la mort. On remarque particulièrement les duos d'Éric (Stuart Skelton) et de Senta (Eva Johansson), leur interprétation subtile et touchante, et d'une manière générale, le travail vocal de l'ensemble des chanteurs. De ce point de vue, personne ne songe à tirer une quelconque couverture, fait assez rare pour être souligné.

Nouvelle production du Vaisseau fantôme à l'Opéra du Rhin, Strasbourg.
direction musicale : Julia Jones, mise en scène, décors et lumières : Philippe Arnaud, assistante mise en scène : Marion Soustrot, costumes : Jorge Jara
Avec Frode Olsen (le Hollandais), Markus Hollop (Dalland), Eva Johansson (Senta), Stuart Kelton (Erik), Susan Nicely (Mary), Jörg Dürmüller (dre Stuerman).
Chœurs de l'Opéra national du Rhin
Orchestre Philharmonique de Strasbourg