LE SOIR
Actualité culturelle

Mardi 18 mars 1997 (page 12)

Opéra : Davin et Wernicke montent
"Orphée aux Enfers" à la Monnaie
Rigueur et impertinence d'une infernale soirée!

Noyée de rouge, la salle de la Monnaie a des allures de bordel de luxe auréolé des feux de l'Enfer! Idéal pour accompagner les Olympiens égrillards en goguette dans l'antre de Pluton (voir le MAD du 12/3). La scène s'est transportée au café "la Mort subite", reconstitué au petit poil. Pour qui connaît les moeurs bruxelloises d'Herbert Wernicke (le "Ring", "Calisto", "Pelléas"), adorateur de cette splendide brasserie du XIXe siècle, le clin d'oeil est d'autant plus savoureux qu'il ne manque pas de pertinence pour cet Orphée (re)sous-titré "la mort subite d'Eurydice". C'est ici le lieu de rencontre idéal pour les héros d'Offenbach, bourgeois satisfaisant leur besoin de représentation et ne résistant guère à ces fins de nuit d'ennui, alourdies d'ambroisie, qui font remonter en surface les désirs et les rictus enfouis.

Sous la signature du metteur en scène suisse (qui assume aussi décors, éclairages et costumes), ces portions de héros mythologiques plus loufoques les uns que les autres s'imprègnent d'une bonne dose de subversion, d'hypocrisie moralisatrice, point focal de cet opéra bouffe.

Ne commence-t-il par l'étalage de l'infidélité de deux jeunes époux que le souci de réputation empêche de divorcer? "Respectons les convenances, en apparence", martèlent de concert Jupiter et l'Opinion publique, qui a pris ici les atours d'une madame-pipi, le goupillon de latrine en guise de bâton de maréchal (succulente Désirée Meiser).

Jarretière et locomotive

La jarretière canaille est de mise, les corps à corps aussi, lascifs et truculents. Sans s'attarder aux flèches satiriques des offenbachiades du Second Empire, la drôlerie de la scène prend ses meilleurs moments dans ses arrêts sur clichés. Ici, c'est l'Olympe en sédition formant une barricade à la bannière rouge haut levée sur un manche de brosse... et comiquement mêlée aux effluves d'une Marseillaise traitée en "Va pensiero" (choeur des esclaves de "Nabucco"), que joue un petit orchestre de salon en mezzanine. Bravo à la plume coquine de Patrick Davin!

Wernicke n'a pas son pareil pour démonter en gags et surprises les expressions prises au pied du livret d'Halévy et Crémieux tout en leur donnant un petit air d'authenticité quotidienne ou historique. Un exemple : quand Jupiter emmmène sa cour en excursion aux Enfers, c'est une locomotive noire à vapeur crachotante qui crève le plafond et pique du nez. Rien de plus logique eu égard à la vogue industrielle et touristique des chemins de fer au XIXe siècle. Dire que le rythme est soutenu à un train d'enfer d'un bout à l'autre serait un rien présomptueux. Mais on ne résiste pas à Cerbère, omniprésent, blasé et aboyeur (Thomas Stache sous sa fourrure!) ou à John Styx, domestique clown triste (André Jung)!

Cette version d' "Orphée", tramée d'une rigoureuse dramaturgie, est d'un comique on ne peut plus raide, au dépit de ceux qui en espérait une vision "opérette élégante" dans la ligne de la seconde version (1874), d'autant plus que la diction française y laisse bien des plumes, à l'exception de l'éblouissante colorature Elisabeth Vidal (Eurydice). Si le numéro irrésistible de Dale Duesing en Jupiter ne masque pas l'usure de la voix, l'on découvre une Sonia Theodoridou (Diane) déchaînée, habile à l'accordéon, une excellente Marie-Noëlle de Callatay en Cupidon androgyne et un Mercure (Frank Cassard) à l'élasticité inépuisable.

Domptant autant que faire se peut ce large et nombreux plateau, Patrick Davin maintient la rigueur de la fosse, subtil dans l'impertinence des prouesses vocales, tendre dans la caresse mélodique, pour libérer dans le grand galop final (cancan) une énergie décuplée. Un superbe travail !

MICHÈLE FRICHE

 

Amadeus
giugno 1997

Una festa dell’intelligenza e dell’umorismo

Una vera festa dell’intelligenza e dello humour questa elegante messa in scena dell’Orfeo all’Inferno di Offenbach, presentato alla Monnaie tra marzo e aprile. A conferma del grande talento teatrale del geniale regista tedesco Herbert Wernicke, che siamo sempre più abituati a frequentare nel registro drammatico (per esempio con un memorabile Boris di Abbado a Salisburgo o col Mosé e Aronne), più aduso a occuparsi di Calisti, di Montezumi o di Herakli, di Gluck o di Händel, e che qui tradisce la sua irresistibile verve comica (del resto lui non ha mai sdegnato di mettere in scena anche operette o zarzuelas, dalla Belle Hélène, alla Fledermaus al Wiener Blut). E questo di dica anche a scorno dei parrucconi della critica paludata, che non riescono mai a intuire quando ci si trova di fronte a un autentico talento nuovo. Tra l’altro, se gli stessi riflettessero un poco di più al genio iconoclasta e irresistibile di Offenbach, che con questo pastiche mitologico "aggiorna" l’Olimpo a un salotto di Napoleone III e Mercurio a un groom proustiano da Grand Hôtel, forse non oserebbero più scrivere quelle ridicole filippiche stantie, contro certe regie sottili e spregiudicate, alla Ronconi, che applicano lo stesso procedimento alle leggi della ri-messa in scena. Ma tant’è.

Ora, il divertimento, qui, si scatena subito dal primo irrompere in scena dell’Opinione Pubblica, che pare una scultura iperrealista americana di Segal, con i suoi bigodini, e le pantofole pronte, da indossare prima di affrontare il ruolo di domestica-spia: onnipresente, strepitante (la bravissima e spiritosa Desirée Meiser), perseguita i protagonisti con il suo scopino da toilette brandito come uno scettro e si trasforma in una sorta di deus ex machina dell’intero plot alla greca.

Orfeo è ridotto ormai a essere un petulante professore di violino, che perseguita la sua sposa bovaristica Euridice con le sue imposizioni di concertini improvvisati, che spaziano dalla Barcarola dei Racconti di Hoffmann (deliziosa autocitazione) ai virtuosismi di Vieuxtemps (e bisogna ammettere che se Alexander Badea ha una voce piuttosto gracile, si rivela invece un ottimo violinista in scena, di sorprendente spolvero concertistico. Del resto, prima di incontrare il magistero della Cotrubas, si era dedicato proprio a quello strumento). Euridice è una midinette sospirosa, che non attende che la prima occasione d’adulterio per fuggire: e questa si presenta sotto le mentite spoglie del pastore Aristeo, in puro stile gangster-Blood Brothers con scarpe bicolori e doppiopetti gessati. Ma è soprattutto la scena dell’Olimpo, trasformato nel caffé inizio secolo, esistente a Bruxelles, de La Mort Subite, un poco in stile Loos, con specchiere, file di paletot appesi, bombette e canne da dandy, a raggiungere il momento di maggior vivacità scenica, con Giunone trasformata in una querula matrona emigrée, Giove in un fastidioso gagà debosciato e Mercurio che scende dal cielo leggendo Le Soir come un automa semovente in un quadro di Magritte. Ed è incredibile l’effetto-choc della voluminosa locomotiva che crolla dal cielo (la discesa all’Inferno) spaccando colonne e mobilio (con una certa inquietudine del pubblico impreparato). secondo una celebre fotografia catastrofica inizio secolo di Kuhn. Una sorta di Delvaux floreale. E l’Opinione Pubblica è già lì pronta a lucidare anche il rottame di treno, da cui usciranno tutti i personaggi, come in una fantasia di Méliès, mentre la meravigliosa pochade musicale procede a scoppiettare, con grande strepito del cagnone-mimo, che s’agita e abbaia ad ogni can can. Se le voci sono tutte ammirevoli, soprattutto per disponibilità ironico-teatrale (straordinario il John Styx di André Jung), il direttore Patrck Davin (già allievo di Boulez e Berio), che pareva un poco ingessato ad apertura di ouverture, si lascia poi magnificamente trascinare dal brio formidabile di questo sublime opéra bouffon.

Marco Vallora

 

LE SOIR
Télévision
Mercredi 15 avril 1998 (page 16)

"Orphée aux enfers" ou la mort subite d'Eurydice

Parodie d'opéra, massacre du mythe d'Orphée, caricature de la cour de Napoléon III: le galop d'Offenbach décoche ses flèches tous azimuts.

L'insolente puissance du rire n'est-elle pas le plus sûr moyen de passer à travers les mailles de la censure? Que penser des dieux qui font leurs les accents de la Marseillaise alors répudiée comme hymne national sous l'Empire, ou de ce menuet aristocratique qui se transforme en célébrissime cancan en ces temps bien peu fréquentables...?

N'attendez point d'antiquailles mythologiques grecques pour cet "Orphée aux enfers" qui a encanaillé la Monnaie en mars 1996. Ces Olympiens en goguette qui se révoltent contre l'ennuyeux régime du très volage Jupiter (capable de se transformer en mouche pour entrer par le trou de la serrure dans le boudoir d'Eurydice!) Herbert Wernicke les a savoureusement transportés dans une des brasseries les plus célèbres de Bruxelles, à deux pas de l'Opéra: "la Mort Subite", reconstituée jusqu'à son moindre stuc! Quoi de plus pertinent pour l'irrépressible besoin de représentation des héros d'Offenbach, y traînant là leur fins de nuit avinées?

Sous l' il de l'Opinion publique, une succulente Madame pipi qui martèle de son goupillon de latrine: Respectez les convenances en apparence, vous serez aboyé (et en mesure) par un cerbère blasé à la belle fourrure canine, vous vous rincerez l' il aux jarretières coquines de ces portions de déesses égrillardes et vous partirez en excursion aux enfers dans une splendide locomotive crevant le plafond en crachotant sa vapeur... De gags en arrêts sur clichés, le rire subversif est garanti pour cette version du premier gros succès offenbachien créé aux Bouffes Parisiens en 1858, et retransformé en "opéra-féérie" avec ballets en 1874.

Si la diction française laisse quelques plumes dans cette volière irrévérencieuse, les corps et les gosiers s'en donnent à qui mieux mieux sous la baguette de Patrick Davin, avec, entre autres, l'éblouissante et roucoulante Eurydice d'Elisabeth Vidal, la Diane déchaînée de Sonia Theodoridou, habile à l'accordéon et l'irrésistible comédien qu'est toujours Dale Dusing, Jupiter plus fôlatre que jamais.

MICHELE FRICHE

Musica: "Orphée aux enfers": Arte, 21 h 40.A la Monnaie, jusqu'au 5 avril. tél. 02/229.12.11.

 

LE SOIR
Point de vue
22 Avril 1999

MUSIQUE
Orphée ou la bourgeoisie à contre-pied
Reprise d'"Orphée aux enfers", l'"opéra-bouffon" d'Offenbach, mis en scène par Herbert Wernicke et dirigé par Mark Stringer.
C'est à la Monnaie, jusqu'au 2 mai.

Quel meilleur décor que "La Mort Subite" de Bruxelles? Les colonnes néoclassiques, les murs ocrés à la nicotine de cette taverne bruxelloise fleurent la grandiloquence petite-bourgeoise et la biture au houblon: le théâtre rêvé pour y jouer l'"opéra-bouffon" de Jacques Offenbach "Orphée aux enfers". Le compositeur y croque, avec le sarcasme d'un Aristide Bruant, la société du XIXe siècle et son émanation sur la vie musicale. Orphée, Prométhée des sons dans le mythe d'Ovide, apparaît ici en virtuose raté, plus enclin à rechercher la gloire qu'à vouloir changer le monde par la musique.

Herbert Wernicke, le metteur en scène et décorateur, construit dans ce décor unique un spectacle visuel qui évolue au fil de sa fantaisie débridée. Mais qu'on ne se méprenne pas. Si l'opérette lui permet de prendre à contrepied les valeurs bourgeoises qui transpirent jusque dans la salle, il ne sacrifie jamais à la facilité vulgaire. Tous ses mouvements de scène sont réglés avec minutie, sculptent l'espace dans des compositions ébouriffées au gré des french cancans et des "Che faro senza Eurydice" - le fameux air de Gluck -, démantibulés.

Le choeur de la Monnaie et les chanteurs se prennent au jeu et déploient des qualités théâtrales tout à fait convaincantes - hormis un Orphée (Alexandru Badea) un peu ampoulé. Dale Duesing, particulièrement, campe en cabotin un Jupiter génial.

La distribution enfin est relativement équilibrée. Elizabeth Vidal démontre une santé phénoménale dans les vocalises d'Eurydice. On retiendra aussi la magnifique voix d'Anna Maria Panzarella, en Diane. Un spectacle tonique, inattendu, drôle et subversif.

X. F.