Les Echos
mardi 15 juin 2004

OPÉRA
La grande aventure
Une fresque aux mille coleurs, généreusement brossée par une équipe enthousiaste


Voilà de l'opéra grand spectacle (en quelque sorte, l'équivalent musical du cinéma avec effets speciaux

Meyerbeer se porte bien. On le croyait dépassé, démodé: en une semaine, "Les Huguenots" à Metz et "L'Africaine" à Strasbourg prouvent sa vitalité. Voilà de l'opéra grand spectacle (en quelque sorte, l'équivalent musical du cinéma avec effets spéciaux) dont on comprend qu'il ait pu fasciner les foules. L'Histoire, avec un grand "H", est au cœur des "Huguenots"; "L'Africaine" ne fait que la frôler via son personnage principal, Vasco de Gama, et lui préfère l'Aventure, avec un "A" tout aussi majuscule.

Vingt-huit ans s'écoulent entre le moment où le compositeur, qui a encore choisi pour librettiste Eugène Scribe, s'attaque à son nouveau projet et la création à l'Opéra de Paris en 1865. Entre-temps, il a délaissé son navigateur naufragé sur la côte africaine pour l'anabaptiste Jean de Leyde, héros du "Prophète", porté au triomphe, en 1849, par Pauline Viardot, pour ne le reprendre que bien plus tard, n'achevant sa composition qu'en 1863. Scribe disparaît en 1861, Meyerbeer en 1864, "L'Africaine" est achevé par par François-Joseph Fétis. Quelles étaient les véritables intentions de l'auteur? Il faudra attendre la publication de l'édition critique pour le savoir. Car Meyerbeer intéresse les musicologues, particulièrement en Allemagne.

A l'époque du zapping, et de soirées formatées de manière à ne pas lasser l'auditoire, il est difficile de ne pas faire des coupures dans une partition foisonnante, à condition de respecter la dramaturgie et la cohérence de l'intrigue jusque dans ses invraisemblances.

Ouvrir les portes du rêve

La mise en scène de Jean-Claude Auvray donne le ton avec justesse: direction d'acteurs à peine distanciée, recours à l'illusion théâtrale en la montrant avec un humour discret pour ce qu'elle est, redécouverte de la vertu des toiles peintes (celles de Bernard Arnould sont un modèle de goût et d'imagination, retrovant la magie des décorateurs du XIXe siècle sans le copier — la vision du palais de la reine Selika est proprement féerique), recours à la machinerie et au spectaculaire, parfaitement réussi dans la scène du naufrage, luxueux costumes de Daniel Ogier, rien n'a été épargné pour ouvrir les portes du rêve, y compris les éclairages de Philippe Grosperrin. Preuve évidente que l'on peut ressusciter ce répertoire sans tomber dans la reconstitution.

C'est un très jeune chef britannique, Edward Gardner — sauf erreur, il se produit pour la première fois en France —, qui dirige l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, avec la souffle et le dynamisme nécessaires, un brin de poésie en plus. Bien des nationalités se côtoient dans la distribution, avec des accents parfois périlleux. Nicoleta Ardelean (Inès, amoureuse de Vasco) phrase élégamment des aires difficiles, mais demeure incompréhensible. Sans doute Peter Sidhom (Nelusko, escalve épris de Selika) est-il, vocalement, un peu court, plafonnant dans l'aigu, mais sa forte présence l'aide à imposer son personnage. Bojidar Nikolov fait belle impression: un timbre claironnant, un matériau impressionant, mais qui demande à être sérieusement policé. L'énergie et la pugnacité sont, elles, désarmantes. En un mois, Sylvie Brunet a dû apprendre le rôle de Selika. Carolyn Sebron, souffrante, ne pouvant l'assurer. La performance est digne de respect. Mais l'interprète mérite mieux que cela. La voix est longue, homogène, sombre et cuivrée capable de déferler tel un métal en fusion ou de s'adoucir avec sensualité. Le style est impeccable, le jeu prenant. Pourquoi n'entend-on pas davantage une cantatrice de cette envergure? Les vaisseaux de Vasco ont bien tenu leur route. Quel théâtre français osera maintenant s'attraquer au "Prophète"?

MICHEL PAROUTY

 

L’Alsace
Dimanche 13 juin 2004

OPÉRA
Une Africaine venue d'Orient
Le public a accueilli avec enthousiasme, vendredi, la première de l'opéra de Meyerbeer, " L'Africaine ", une fresque orientaliste.


L'Africaine.
A Strasbourg et Mulhouse, pour l'Opéra du Rhin
(Photo DNA - Alain Destouches)

Parce que l'opéra ne se limite pas aux oeuvres célèbres, l'Opéra du Rhin présente ce mois-ci une oeuvre quasiment inconnue, L'Africaine, de Giacomo Meyerbeer, créée en 1865 et donc représentative de la fin du XIXe siècle. Il n'existe pas d'enregistrement officiel de cette oeuvre, tout au plus des prises pirates. Ainsi, la mise en scène de cette très longue partition, qui a d'abord été raccourcie pour épargner au public une représentation de six heures, a demandé un long travail de recherches. " Il est rare que je travaille si longtemps sur une oeuvre ", explique le metteur en scène, Jean-Claude Auvray. Pendant deux ans, il s'est imprégné de l'oeuvre, pour aboutir à un spectacle inscrit dans la pure tradition théâtrale. Le metteur en scène a commencé par écouter des enregistrements et à procéder, avec le chef d'orchestre, Edward Gardner, aux coupes. " Les compositeurs procédaient souvent à des coupes durant les répétitions ", explique-t-il. Meyerbeer est décédé avant la fin de sa composition, les coupes ont donc été faites à sa place.

Vasco de Gama l'aventurier

Deuxième étape : faire connaissance avec les personnages. " Pour moi, Meyerbeer s'est identifié à Vasco de Gama, qui aspirait lui aussi à l'immortalité. Le personnage présenté ici ne ressemble en rien à l'homme historique. Vasco de Gama était en réalité adulé ". Le choix de noms historiques pour cet opéra présentait, selon Jean-Claude Auvray, un aspect purement commercial. " Au début, l'opéra devait s'appeler Vasco de Gama. Finalement, c'est le titre L'Africaine qui a été choisi. C'est une excellente idée, car l'Africaine a un côté mystérieux et magique " Surtout quand on s'aperçoit que cette Africaine est indienne ! L'Africaine Sélika — de fait la souveraine d'un royaume imaginaire — a été faite prisonnière lors d'une expédition menée par Vasco de Gama, qui voit en elle et son compatriote Nélusko la preuve de l'existence d'un continent encore inconnu. La mise en scène de Jean-Claude Auvray suit Meyerbeer dans sa quête d'exotisme. " Les gens viennent au spectacle pour sortir du quotidien. Des allusions à l'actualité auraient été malvenues ". Le metteur en scène emmène son public dans le monde du théâtre, qu'il connaît autant qu'il l'aime. La scène est tendue d'immenses toiles, qui participent à la dramaturgie. Jean-Claude Auvray a au moins ce point commun avec Meyerbeer : il aime la machinerie de théâtre héritée du monde marin. Ici, il dévoile les secrets des coulisses. " La mise en scène de cette Africaine était pour moi un défi, une aventure. Parce que comme dit Stendhal, la curiosité sauve tout. En cela, je rejoins le personnage de Vasco, lui aussi aventurier ".

VIRGINIE VENDAMME

 

L’Alsace
Jeudi 17 juin 2004

L’Africaine: dépaysement et tradition
Très rarement présenté, le chef-d’oeuvre de Meyerbeer est joué à Strasbourg à l’Opéra du Rhin jusqu’au lundi 28 juin.

Pour la première à Strasbourg, "L’Africaine" de Giacomo Meyerbeer a connu un vif succès l’autre soir à l’Opéra du Rhin (voir notre édition du dimanche 13 juin).

OEuvre quasiment inconnue, cette "Africaine" est tout à fait typique du grand opéra français, et même de la conception générale que le public non averti peut se faire de l’opéra. De très longs airs, des performances vocales à vous couper le souffle, une histoire qui a certes un fil mais reste bien peu crédible, une orchestration rutilante. Mais le tout fonctionne très bien, à condition, justement, de connaître un peu la partie, pour tenir "le choc" de plus de trois heures de spectacle. Le jeu des acteurs, la grande beauté des costumes et la mise en scène inventive tiennent le public en haleine et entretiennent magnifiquement le suspens de cette histoire-prétexte. Toutes les capacités de l’opéra, art total, sont ici exposées. Surtout, ces dispositifs de toiles qui montent et descendent sur la scène, laissant entrevoir le travail des machinistes, rappellent que les adultes sont parfois de grands enfants: comme les petits, ils parviennent à rêver et à s’embarquer vers de nouveaux mondes avec une belle partition, une belle robe de reine ou un costume d’explorateur, et des toiles peintes qui nous disent : " On dirait que là on est dans le bateau, et il y a une tempête… " La distribution est à la hauteur de la mise en scène. Sous la baguette d'Edward Gardner, Peter Sidhom en Nelusko et Nicoleta Ardelean en Inès sont eux aussi remarquables. Sylvie Brunet en Sélika et Bojidar Nikolov, qui joue Vasco de Gama, évoquent de grands thèmes comme l’amour, la jalousie, la rivalité pour l’une, l'immortalité, la reconnaissance, l’ambition, le pouvoir, pour l’autre. On retrouve aussi des évocations sur l’intolérance, les conquêtes, les inégalités, ce qui fait de cet opéra une matière riche à réflexions.

 

ConcertoNet.com
11 Juin 2004

Fastueuse résurrection de L'Africaine:
un pari réussi

Par Laurent Barthel

En l’absence de vrai repère moderne (hormis quelques rares enregistrements sur le vif, dans des conditions vocales qui mélangent prestations flamboyantes et performances stylistiquement hasardeuses) s’attaquer à L’Africaine, véritable pièce de musée, constituait pour l’Opéra du Rhin un vrai pari, incluant aussi une bonne part de rêve, tant l’ouvrage est mythique (il l’était d’ailleurs déjà du vivant du compositeur, qui en fit attendre longuement l’achèvement, continuellement repoussé, la première exécution de l’opéra n’ayant finalement lieu qu’en 1865, soit quelques mois après la disparition de Meyerbeer).

Qu’en est-il aujourd’hui de l’aspect même de l’œuvre, à présenter soit largement raccourcie, soit développée dans toutes ses longueurs, mais dès lors incompatible avec nos modes de consommation culturelle contemporains, et de toute façon pas forcément plus conforme dans ce cas à une réalité historique qui reste imprécise (Meyerbeer a énormément écrit pour cette Africaine, et sans doute plus de musique que nécessaire, se réservant de procéder au dernier moment à des réajustements qu’il n’a pas pu effectuer, tout cela méritant d’être clarifié par une édition critique en cours, inaccessible pour l’instant). Qu’en est-il aussi de l’adéquation de nos techniques de chant actuelles à une série de rôles d’un format impossible, mais que l’on interprétait probablement d’une façon assez différente à l’époque… Autant de questions qui auront valu à cette nouvelle production un beau succès de curiosité, l’enthousiasme de la salle au rideau final se révélant à la mesure de ces espérances, que l’Opéra du Rhin a su satisfaire au delà de toute attente.

Spectacle total, L’Africaine a bénéficié de la part de Jean-Claude Auvray, Bernard Arnould et Daniel Ogier, d’un soin particulier et surtout d’une remarquable absence de condescendance à l’égard d’un genre (le Grand Opéra à la française) pourtant largement décrié. Meyerbeer est pris constamment au sérieux, sans distance ironique, ni relecture, ni amateurisme. De grands professionnels de la scène déclinent ici le meilleur de leur savoir-faire, récupérant habilement au passage les recettes d’un art qui fit délirer les salles au milieu du 19e siècle. Réhabilitation de la toile peinte en tant que mode d’ouverture facile vers un imaginaire à portée de pinceau, réhabilitation du costume en tant que support d’élégance, sans souci de couleur locale trop précise, réhabilitation aussi d’un éclairage conçu moins comme un élément de dramatisation que comme un supplément d’ambiance (on apprécie les luminosités faibles, conformes aux sources plus tamisées de l’époque). Spectacle constamment esthétique, et en même temps jamais ridicule, grâce à un dépouillement et une sensibilité qui savent gommer l’accessoire en trop. L’opéra d’hier, en tant que machine à faire rêver, se redéploie sous nos yeux, et force est de constater que ce type d’émerveillement peut encore fonctionner, moyennant évidemment quelques adaptations et un regard moins critique que compréhensif. À cet égard la mise en perspective constamment voulue par le metteur en scène, qui ne dissocie jamais totalement la pièce de sa fonction d’objet de représentation factice (comme serti par les ors des boiseries, les plis et les mouvements constants du rideau de scène, voire l’irruption de certains éléments de machinerie laissés apparents), apporte à cette résurrection comme un supplément d’âme, qu’aucun dépoussiérage plus radical n’aurait pu respecter. Quant aux coupures, inévitables aujourd’hui, elles savent se faire discrètes, et aucun moment essentiel d’une partition qui en comporte beaucoup n’est passé sous silence.

Vocalement, l’Opéra du Rhin a su réunir une distribution homogène, là où la plupart des scènes internationales ont échoué à l’époque moderne (un Domingo par ci, une Verrett ou une Jessye Norman par là, chanteurs immenses mais trop isolés, n’ont jamais suffi à faire renaître cet opéra dans des conditions vraiment optimales). Certes Bojidar Nikolov interprète Vasco de Gama avec une énergie mal canalisée, négociant de vraies nuances au prix d’efforts tellement disproportionnés qu’une évidente fatigue vient amoindrir son émission dès l’Acte III. Cela dit son incarnation de ce rôle impossible est convaincante et aurait mérité mieux qu’un accueil injustement tiède, le public ne semblant plus préoccupé que d’acclamer la formidable Sélika de Sylvie Brunet, d’une incroyable fermeté d’émission sur toute l’étendue d’une tessiture exceptionnellement large, et d’un engagement dramatique qui crédibilise même son air du II (parfois assez niaisement écrit). Quant à sa scène finale, suicidaire, sous le feuillage de l’exotique mancenillier, arbre mortel aux fleurs toxiques, elle est d’une intensité inoubliable (en dépit des disparités de niveau d’une musique imprévisible, le plus convenu y succédant au meilleur, sans aucun préavis). Dans le rôle d’Inès, Nicoleta Ardelean doit aussi négocier des vocalises curieusement erratiques comme Meyerbeer en a le secret : si son premier air, chanté devant le rideau encore fermé, la trouve un peu courte de souffle, son 5e Acte ruisselle en revanche d’une passion très émouvante. Et du côté des voix graves on assiste à un remarquable florilège d’exactitude stylistique : bouleversant Nélusko de Peter Sidhom, projection de stentor du Grand Brahmine de Cyril Rovery, remarquable Don Pedro de Nicolas Testé, très efficaces Alain Gabriel et Antoine Garcin dans les rôles plus mineurs de Don Alvar et Don Diego… tout le monde prononçant sa partie avec tant de limpidité que l’on n’éprouve presque jamais le besoin de consulter le sur-titrage (toujours utile dans l’absolu, même pour un ouvrage en français).

Au bout de trois heures de spectacle, on reste durablement impressionné par cette musique curieuse et proliférante, parfois difficile à cerner mais riche d’énormément d’idées, même si Meyerbeer n’a presque jamais pu porter ces trouvailles à leur ultime degré d’accomplissement (réussite en fait réservée aux autres : Verdi, Wagner… qui ont assez largement pillé ses ouvrages, tous bien diffusés à l’époque). Pour que la réhabilitation de Meyerbeer, indiscutablement réussie ce soir-là, soit encore plus évidente, on aurait toutefois souhaité d’avantage d’assurance du côté de l’orchestre, déstabilisé par la battue peu lisible d’Edward Gardner, et de toute façon d’une virtuosité trop limitée (le Prélude, véritable festival d’entrées précautionneuses, toutes à la limite du déraillement, annonce même une prestation pénible, les premiers pupitres parvenant quand même à bien redresser leur trajectoire ensuite, du moins pour cette soirée de première). Reste à souligner que la résurrection de ces grands ouvrages romantiques de Meyerbeer passe par une scénographie de haute volée et des distributions minutieusement calibrées, autant dire des conditions incompatibles avec toute forme de routine. À cet égard cette brillante et inoubliable soirée met la barre très haut : résultat incontestable, mais à double tranchant.

Strasbourg, Opéra du Rhin
06/11/2004 - et les 11*, 14, 17, 23, 25 et 28 juin à 20 h (le 20 juin à 17 h) à Strasbourg, le 2 juillet à 20 h et le 4 juillet à 17h à Mulhouse (La Filature)
Giacomo Meyerbeer : L’Africaine
Nicoleta Ardelean (Inès), Simona Totelecan-Ivas (Anna), Antoine Garcin (Don Diego), Nivolas Testé ( Don Pedro), Bojidar Nikolov (Vasco de Gama), Alain Gabriel (Don Alvar), Frédéric Caton (Le Grand Inquisiteur), Peter Sidhom (Nélusko), Sylvie Brunet (Sélika), Chœurs de l’Opéra du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Edward Gardner direction).
Jean-Clade Auvray (mise en scène), Bernard Arnould (décors), Daniel Ogier (costumes)

 

Concertclassic.com
Strasbourg, le 25 Juin 2004

L’Africaine : Meyerbeer triomphe dans l’Est

Par Bernard Niedda

Après Metz qui clôturait sa saison avec des Huguenots très applaudis, c’est au tour de l’Opéra National du Rhin d’honorer la mémoire du père du grand opéra à la française en présentant L’Africaine (dont la création posthume eut lieu le 28 avril 1865 à Paris, dans une réalisation de Fétis).

Le metteur en scène Jean-claude Auvray propose un dispositif qui permet de redécouvrir tout le charme des toiles peintes, très adaptées à cette production. Les changements s’opèrent à vue et permettent aux spectateurs d’être partie prenante dans le spectacle. Les superbes éclairages de Philippe Grosperrin soulignent avec beaucoup de subtilité les différents tableaux et les costumes de Daniel Ogier ajoutent au plaisir de l’oeil. Point d’Orient de pacotille, mais des personnages bien campés et un jeu d’acteur qui évite le ridicule des situations.

La distribution est dominée par la superbe Sélika de Sylvie Brunet : voix ample et généreuse, mais on regrette un manque de pianissimi qui par instants auraient été les bienvenus - il ne faudrait pas que cette superbe mezzo tombe dans les travers de la Cossoto. Justement applaudi le Nélusko de Peter Sidhom possède de remarquables moyens. Par la ductilité de son timbre, il n’est pas sans rappeler certains de nos grands barytons (Borthayre, Blanc, et autre Massard). Le chanteur est adroit et le comédien parfait dans ce personnage, amoureux de sa maîtresse.

Inès. Nicoletta Ardelean ne démérite pas au sein d’une distribution qui a su redonner vie à un répertoire jugé désuet par les intellectuels, et a prouvé que Meyerbeer a sa place sur les grandes scènes à condition qu’on veuille bien lui prêter une oreille attentive.

Je garderai pour la fin le ténor Bojidar Nikolov qui dans le rôle, ô combien difficile, de Vasco de Gama divisa le public. La voix est belle et généreuse mais - est-ce par souci d’avoir une diction impeccable ? - toujours est-il que tout le haut médium apparaît engorgé, ce qui donne des aigus à l’emporte-pièce, et met souvent la ligne de chant en péril. Quand comprendra-t-on que ce répertoire est encore tout empreint de bel canto, et que le chant di forza, n’a rien à y faire!

Ne boudons cependant pas notre plaisir. Il était temps de redonner vie à la musique de Meyerbeer, voilà qui est fait. Espérons que d’autres scènes sauront s’inspirer des exemples donnés par Strasbourg et Metz...

 

Forum Opéra
Juin 2004

Strasbourg: L'Africaine
UN GARÇON, DEUX FILLES, TROIS POSSIBILITÉS

Le 8 juin 2004, entre 7h20 et 13h24, les amateurs d'astronomie ont pu assister à un événement exceptionnel : le passage de la planète Vénus devant le disque solaire, sorte d'éclipse au rabais, visible en France pour la première fois depuis décembre 1882.

Dans un registre plus en rapport avec cette chronique, les amateurs de lyrique ont pu assister à un phénomène tout aussi exceptionnel : des productions quasiment concomitantes de deux ouvrages de Meyerbeer à quelques dizaines de kilomètres l'une de l'autre.

Les Huguenots de Metz ne constituaient pas a priori un événement majeur (a posteriori, c'est une autre histoire): des représentations à Montpellier, à Londres, à Berlin, ou à Bilbao ont donné tout loisir au spectateur un peu motivé de redécouvrir ce chef-d'oeuvre ; il n'en va évidemment pas de même pour L'Africaine qui n'avait plus été donnée dans le monde depuis 1988 (le DVD qui subsiste de ces représentations à l'Opéra de San Francisco n'est pas exceptionnel, mais il a le mérite d'exister). En Europe, rien depuis 20 ans ; quant à la France, rien ou presque (semble-t-il) depuis la Seconde guerre mondiale, si ce n'est une tentative avortée de concert au Châtelet (avec déjà Sylvie Brunet, mais aussi une certaine Renée Fleming) à l'occasion du bicentenaire de Meyerbeer. Incapable d'établir une partition dépourvue d'erreurs de retranscription (d'autres y sont pourtant parvenus), Radio France devait renoncer à cette résurrection à l'issue des répétitions.

C'est dire si les attentes étaient exacerbées pour cette re-création qui a attiré des spectateurs des quatre coins du monde (une quarantaine de membres du très sérieux Meyerbeer Fan Club avaient même fait le déplacement, majoritairement depuis l'Amérique du Nord).

Le pari n'était pas gagné : l'oeuvre n'est pas la plus accessible de Meyerbeer, ni vraisemblablement la meilleure et ce, pour plusieurs raisons.

La plus évidente en apparence, ce sont les faiblesses du livret qui souffre des remaniements successifs opérés pendant les 27 années de laborieuse gestation de l'ouvrage, le plus souvent à la demande de Meyerbeer lui-même.

Comme chacun sait, cette Africaine ne se passe pas en Afrique et met en scène des Portugais et des Malgaches : "Tout dévoile qu'ils viennent de plus loin que l'Afrique" affirme même Vasco à propos de Sélika et Nélusko, et dès le premier acte : on est vite fixé !

Amoureux tour à tour de Sélika ou d'Inès, Vasco de Gama apparaît comme un personnage particulièrement velléitaire si l'on ne comprend pas que ses motivations profondes sont "la gloire et l'immortalité" (comme Meyerbeer lui-même) et non l'amour et la fidélité (ce qui, de fait, ne le rend pas plus sympathique). Après tout, tout cela vaut bien l'intrigue d'une Forza del Destino ou d'un Trovatore.
On pourrait en dire autant de la versification de Scribe, laquelle nous vaut quelques tirades mémorables, telles celles de Nélusko : "La vieille Europe au nouvel océan / Lance un défi porté par l'ouragan" (ce qui prouve qu'on peut être esclave et cultivé).

Autre problème posé par la partition : le décès de Meyerbeer avant la création de l'oeuvre. En effet, le compositeur avait pour habitude d'écrire davantage de musique que nécessaire et de couper, développer ou réorganiser pendant les répétitions afin de juger "sur pièce" de l'impact de son ouvrage : aussi, dans l'attente d'une édition critique, la version traditionnelle ne peut refléter fidèlement les intentions de l'auteur.

Enfin, on sait que Meyerbeer écrivait d'abord pour les chanteurs qu'il imaginait voir créer son ouvrage ; comme en 27 ans beaucoup de voix glorieuses avaient coulé sous les ponts, certains critiques ont soutenu que l'ouvrage s'en ressentait ; l'exemple des Huguenots, chanté avec talent par des gosiers aussi différents que ceux de Richard Leech ou de Rockwell Blake semble nous autoriser à relativiser cette remarque.

Autre difficulté : combien de fois n'a-t-on pas entendu ou lu que les ouvrages de Meyerbeer ne pouvaient être interprétés que par des brochettes de chanteurs exceptionnels tels qu'il n'en existe plus et que, même si de telles voix existaient, les réunir coûterait trop cher ! Combien de fois n'a-t-on pas dit également que les oeuvres de Meyerbeer nécessitaient des productions spectaculaires et luxueuses, insinuant souvent que le succès passé des oeuvres était d'abord dû à celui des décors ?

Résumons-nous : livret bizarrement construit, versification contestable, héros peu sympathique, absence d'édition définitive, réputation d'oeuvre inchantable, nécessité d'une production fastueuse... on voit bien que l'Opéra du Rhin a relevé un sacré défi. Et disons-le tout de suite, la réussite de cette soirée va au-delà de nos espérances.

La production semblait pourtant jouer de malchance : Carolyn Sebron, très attendue, devait abandonner sa prise de rôle, victime d'un accident ; comme si on trouvait une Sélika sous les sabots d'un cheval !

C'est à Sylvie Brunet (quelle revanche !) que revenait la tache de reprendre le flambeau. Le résultat est remarquable : investissement de l'actrice, beauté sombre d'une voix sans trace d'usure, aigus francs, graves impressionnants, style, phrasé, souffle, diction... la performance de la chanteuse française est en tout point admirable et d'une grande intégrité.

A ses côtés, Nicoleta Ardelean est une Inès qui compense un chant plus frustre par l'intensité de son engagement, notamment dans le magnifique grand duo final avec Selika. On aimerait parfois davantage de piani, une diction plus claire : on se rattrape avec des aigus insolents.

Vieux routier des seconds rôles sur les scènes internationales, Peter Sidhom campe un Nélusko d'une incroyable intensité. On pourra faire la fine bouche sur le style, un rien vériste, dire que le chanteur "gueule un peu" ou n'a pas des attaques toujours très justes. Reste que ces défauts passent au second plan à la scène, tant l'implication est exceptionnelle, la motivation totale : le baryton égyptien chante comme s'il prenait une revanche, bref : colère, passion, rage, douleur... Sidhom EST Nélusko.

Les rôles secondaires (tout est relatif) sont très correctement tenus : on remarque en particulier le Don Pedro de Nicolas Testé, impeccable de bout en bout, et le Grand Brahmine de Cyril Rovery ; deux voix sonores, bien timbrées, stylées et à la prononciation impeccable. A un niveau à peine inférieur, Alain Gabriel rend pleine justice au rôle de Don Alvar, et Antoine Garcin à celui du Grand Inquisiteur.

Petite déception, par contre, avec le Vasco de Bojidar Nikolov : la voix n'est pas laide, le timbre assez latin, avec des accents à la Domingo, et il fait toutes les notes. Voilà pour le positif. Pour le reste, si les notes sont faites, il faut voir comment : les aigus sont retenus (puis éventuellement enflés si ça passe bien), les suraigus discrets, la diction approximative et l'engagement voisin de zéro. Tout ça va de paire avec une tenue de scène désespérante : la gaucherie du pré-adolescent qui a poussé trop vite, couplée à l'air effaré du lapin égaré sur un échangeur d'autoroutes un soir de Toussaint.

A sa décharge, il faut reconnaître que la battue plus chorégraphique que techniquement précise du très jeune Edward Gardner a de quoi désarçonner les plus vieux routiers (va-t-on, comme pour les chanteurs, vers l'embauche des chefs d'orchestre sur leur physique de jeune premier ?). Si la première partie se passe à peu près correctement (c'est la première fois que je vois un chef à ce point en retard sur ses solistes), la seconde offre de nombreux décalages, en particulier dans les ensembles, moment où l'écriture meyerbeerienne atteint le summum de complexité.

Il serait injuste de s'arrêter à ces défauts techniques de jeunesse qu'une plus grande fréquentation de la scène finira par gommer. Le travail sur la partition n'a pas dû être une mince affaire (je rappelais plus haut les déboires de Radio France qui, pourtant, disposait de moyens financiers autrement importants) et le résultat est très homogène.

Les tempi sont parfaits, laissant les chanteurs respirer dans les passages élégiaques ou retrouvant une certaine violence dans les ensembles : on sent de la part de ce chef un véritable attrait pour cette partition (la "Marche indienne" du début du IV se pare même d'une certaine dignité alors qu'on la joue habituellement comme une variation de "La Bayadère"). L'intelligence des échanges effectués avec Mathieu Schneider pour le programme de salle vient confirmer cette impression (1).

Compte tenu des moyens de l'Opéra du Rhin, les coupures étaient sans doute inévitables (2) ; elles ne défigurent en général pas trop la partition (quelques exceptions notables : par exemple, la suppression de l'intervention finale de Nélusko qui revient théoriquement mourir aux côtés de Sélika).

Il n'y a pas de Meyerbeer réussi sans choeurs de haut niveau et motivés ; bénéficiant de renforts opportuns, le Choeur de l'Opéra du Rhin remplit pleinement son contrat : les ensembles sont sonores et bien en place, contribuant au climat "électrique" de la soirée.

Soulignons enfin la qualité de la phalange alsacienne, techniquement très au point et aux belles sonorités, qui sait éviter les pièges de cette partition élaborée.

Pour cette re-création, Jean-Claude Auvray a pris le parti d'un traitement respectueux avec un décor de toiles peintes (malheureusement souvent insuffisamment éclairées), des costumes chamarrés et plein d'imagination, mais qui, vus de prêts, reflètent le manque de budget de la production).

L'acte IV est sans doute le plus réussi, les toiles et leurs portants devenant les voiles et les cordages du vaisseau portugais. Autre belle scène, la mort de Sélilka au milieu de fleurs, d'une belle poésie.

Je suis personnellement plus mitigé quant aux diverses interventions de solistes devant le rideau ou en avant-scène : certes, il s'agit de faire du théâtre lui-même un protagoniste de l'ouvrage mais, outre que ce parti pris n'est guère justifié, il accentue la distanciation du spectateur vis-à-vis de l'action.

Au global, le résultat est très honorable et on a peine à croire qu'un metteur en scène aussi illustre puisse n'avoir JAMAIS écouté une oeuvre de Meyerbeer avant cette Africaine (3).

La soirée rencontre un franc succès, bien mérité : l'accueil enthousiaste du public prouve, en dépit des préjugés, que Meyerbeer est bien un compositeur incontournable qui mérite de revenir régulièrement sur les scènes et qu'il n'est pas nécessaire de réunir les plus grands gosiers dans la plus somptueuse des productions pour rendre justice à ses oeuvres.

Le prochain passage de la planète Vénus devant le disque solaire aura lieu le 6 juin 2012. Il faudra ensuite attendre le 11 décembre 2117. Espérons que nous n'attendrons pas aussi longtemps pour retrouver les chefs-d'oeuvre du Grand Opéra à l'affiche et en particulier sur la scène de l'Opéra de Paris, incontestablement le plus mauvais élève parmi les "grandes maisons" quant au travail de redécouverte du répertoire.

Placido CARREROTTI

Notes

1 Une réserve, néanmoins, à propos de cet entretien dans lequel est évoquée l'influence du traité d'orchestration de Berlioz (1843) sur l'oeuvre de Meyerbeer : cette remarque est totalement anachronique, car c'est bien le traité qui cite Meyerbeer (et non l'inverse) au travers d'exemples tirés de Robert le Diable (1831) ou des Huguenots (1836) et donc composés avant sa rédaction ; la notoriété de Berlioz reste telle que même deux éminents musicologues n'arrivent pas à envisager "dans le bon sens" l'influence de l'un sur l'autre !

2 Il y a deux manières de charcuter Meyerbeer : la première consiste à couper des scènes entières, ce qui peut rendre l'ouvrage paradoxalement indigeste (dans le Grand Opéra Français, il y a une alternance délibérée de scènes fortes et de scènes plus légères qui permettent au spectateur de décompresser : choeurs bachiques, ballets, couplets comiques...) ; la seconde consiste à pratiquer des coupures à l'intérieur des scènes, sacrifiant la reprise de thèmes musicaux (lesquels passent ainsi inaperçus tant la richesse d'invention mélodique est forte chez Meyerbeer), les variations ou strette, sections intermédiaires à l'intérieur des airs, etc. A tout prendre, la première méthode est un moindre mal.

3 C'est pourtant ce qui ressort de la lecture du programme ; et de son aveu même, malgré son travail sur L'Africaine, Auvray ne connaît toujours ni Les Huguenots, ni Le Prophète, ce qui ne laisse pas d'effrayer quant au degré de culture musicale de la profession...

 

FINANCIAL TIMES
June 17, 2004

Opera: L'Africaine

By Francis Carlin

Too long, too pompous, dramatically weak and impossible, nowadays, to cast properly. That's the usual explanation for Meyerbeer's fall from grace. Meanwhile, the nuttier members of the Meyerbeer fan club hint darkly at international conspiracies and even anti-Semitism, though they never explain how Mahler and Mendelssohn have survived.

It's perhaps unfair to judge Meyerbeer when he's so rarely performed but Jean-Claude Auvray's new production of his last opera tends to credit the official line. Compared with Dinorah, where the heroine sings a lullaby to her pet goat, L'Africaine is a model of intellectual rigour; but it's still shabbily put together.

Auvray, in a mainly traditional staging, has his moments with dramatic use of painted backcloths but his efforts to inject movement look contrived. This is quintessentially "hand-on- heart-centre-stage-forward- sing" material. Meyerbeer's most "personal" opera is producer-proof: less reliance on pageantry but only skin-deep characterisation in its place. Even with sterling conducting from young Edward Gardner - a name to watch - the score only confirms Meyerbeer's position as the man who opened doors for more talented composers to walk through.

There are flashes of brilliance, novel orchestration and ideas, such as the passage that anticipates the Willow Song from Verdi's Otello, that were poached and polished by others but you'll look in vain for any sustained inspiration. And Meyerbeer's wilful press-ganging of French prosody to fit his tunes is a constant irritation.

Bojidar Nikolov's courageous attempt at Vasco de Gama falls short and Peter Sidhom's Nélusko, in three perfectly ridiculous costumes, resorts to shouting too often. The supporting cast is patchy but the women principals save the evening. Nicoleta Ardelean, as the bird-brained Inès, soars with ease and Sylvie Brunet's astonishing Sélika storms through this daunting mezzo-cum-soprano role like a good old-fashioned diva.

 

Neue Zürcher Zeitung
21. Juni 2004

In historischer Perspektive
Giacomo Meyerbeers "Africaine" in Strassburg

Nur in grösseren Intervallen wagen sich Opernhäuser an die einstigen Erfolgsstücke Giacomo Meyerbeers. Den jüngsten Versuch hat die Opéra du Rhin in Strassburg mit "L'Africaine" unternommen. Die Inszenierung pflegt eine historische Perspektive.

Mit dem Spielplan 2003/04 hat der kurzfristig nach Wien an die Volksoper berufene Rudolf Berger seinem Nachfolger Nicholas Snowman in Strassburg kein leichtes Erbe hinterlassen. Nur die Hälfte der aufgeführten Werke gehört zum bekannten Repertoire ("Parsifal", "La Grande- Duchesse de Gérolstein", "Le nozze di Figaro" und "L'Italiana in Algeri"), bei den restlichen vier handelt es sich um eine Uraufführung ("Ion" von Param Vir) und drei Raritäten: Marschners "Hans Heiling", Webers "Euryanthe" (konzertant) und Meyerbeers "Africaine". Letztere stellt an die Wiedergabe wohl die höchsten Ansprüche, denn sie ist nicht nur ein Werk mit - durch die Rassengesetze der Nazis - abgebrochener Aufführungstradition, sie steht auch für eine Gattung, die aus dem Zentrum an den Rand der Wirkungsgeschichte gerückt ist, die französische Grand Opéra.

Der Regisseur Jean-Claude Auvray, einst häufiger Gast in Basel, Luzern und Lausanne, versucht auf der Bühne nachvollziehbar zu machen, was den einstigen Sensationserfolg dieses Werkes begründete: mit effektvoll bemalten, grossflächigen Prospekten (Bernard Arnould), mit phantastischen exotischen Kostümen (Daniel Ogier), mit einem auf den Vorhang projizierten Sturm, der die Fregatte der portugiesischen Entdecker in Seenot zeigt, mit einer spektakulären Schiffskaperung durch die indischen Eingeborenen und natürlich auch mit der obligaten pittoresken Balletteinlage (Cookie Chiapalone). Auvray geht dabei durchaus antiillusionistisch vor. Indem er die Machart der Effekte zeigt, führt er ein ironisierendes Element ein.

Dass "L'Africaine" - mit einer Entstehungsgeschichte von nahezu dreissig Jahren und zahllosen konzeptuellen Änderungen - nicht aus einem Guss geraten ist und auch keine endgültige Gestalt gefunden hat, da der Komponist ein Jahr vor der Pariser Uraufführung (1865) starb, verleugnet der Regisseur nicht. Vielmehr trennt er die verschlungene Liebeshandlung zwischen der afrikanischen Sklavin Sélika, die sich als Königin eines bisher unentdeckten indischen Volkes entpuppt, und dem portugiesischen Seefahrer Vasco da Gama, der seinerseits die Admiralstochter Inès liebt, vom Historiendrama um Weltentdeckung und Kolonisation. Diesem steht die ganze Bühne offen, jene spielt meist vor dem Vorhang. Auvrays Rückblick in die Operngeschichte des mittleren 19. Jahrhunderts ist ehrenwert, aber was "L'Africaine" uns heute noch sagen könnte, darauf hält das Bühnengeschehen keine Antwort bereit. Der Dirigent Edward Gardner hat da den leichteren Part, sein Pensum ist erfüllt, wenn die Partitur mit ihren vielfältigen koloristischen und rhythmischen Effekten, ihrem melodischen Erfindungsreichtum, ihrem atmosphärischen Parfum zur Wirkung kommt, und dazu bietet das Orchestre philharmonique de Strasbourg engagiert und kompetent Hand, ebenso wie der Chor.

Die Solistinnen und Solisten auf der Bühne jedoch hat Gardner nicht auf einen werkgemässen Interpretationsstil verpflichten können. Hier dürfte denn auch ein Haupthindernis auf dem Weg zu einer Meyerbeer-Renaissance liegen. Die Protagonistinnen und Protagonisten der Strassburger Einstudierung - Bojidar Nikolov als Vasco da Gama, Nicoleta Ardelean als Inès, Isabelle Vernet als Sélika (sie ersetzte in der von uns besuchten Aufführung Sylvie Brunet) und Peter Sidhom als Sélikas unglücklicher Liebhaber Nélusko - verfügen zwar alle über eindrückliches Stimmmaterial, setzen es aber mit zu viel Druck und Kraft ein, so dass kaum erahnbar wird, wie sehr Meyerbeers Gesangsspiel von der Eleganz der Linienführung und der Beherrschung einer virtuosen Koloraturtechnik lebt. Auch unter diesem Aspekt ist der Strassburger Versuch mit "L'Africaine" ein historisches Lehrstück: Nicht allein auf szenischer, auch auf vokaler Ebene lässt sich die Aufführungstradition der Meyerbeer-Opern nur schwer fortschreiben.

Marianne Zelger-Vogt