La Libre Belgique
25/01/2006

OPÉRA
König Kandaules en création belge
L'histoire du roi qui trouvait sa femme si belle. Gide mis en musique par Zemlinsky

La reconnaissance d'Alexander Zemlinsky (1871-1942) comme un des compositeurs majeurs du XXe siècle se fait progressivement. Occulté par ses amis et contemporains Schönberg, Berg et Webern (qui le citaient comme une influence majeure, même si lui n'avait pas franchi le pas de l'atonalisme), banni par les Nazis en tant que Juif et classé dans la "musique dégénérée", le compositeur viennois qui fut aussi remarqué par Brahms puis Mahler sort peu à peu du purgatoire depuis les années 80. Tous ses opéras ont désormais été représentés et tous sont disponibles dans au moins un enregistrement discographique.

Laissé inachevé et complété par le musicologue (et biographe) américain Antony Beaumont, son "König Kandaules" ("Le Roi Candaule", d'après la pièce éponyme d'André Gide) n'a certes été créé en concert que cinquante ans après sa mort (soit en 1992) et a dû attendre 1996 pour recevoir sa première production scénique, mais le mouvement semble désormais lancé. Après Salzbourg en 2002, c'est Liège qui, cette fois, propose une nouvelle vision de cette oeuvre aux parfums quelque peu sulfureux. La direction musicale échoit à Bernhard Kontarsky, grand spécialiste de la musique du XXe siècle (cf. "La Libre" du 19/1), et la mise en scène au Français Jean-Claude Berutti, qui avait déjà signé à Liège une très belle "Danton's Tod" de Von Einem.

Dans la distribution, trois voix que l'on connaît mais qu'on se réjouira de découvrir dans ce répertoire: le (helden) ténor américain Gary Bachlund sera Candaule, le roi de Lydie aux richesses infinies qui réunit ses favoris afin de leur montrer sans voile son épouse Nyssia (la soprano néerlandaise Barbara Haveman). Quant au baryton belge Werner Van Mechelen, tout auréolé encore de son incarnation d'Alberich dans ma "Tétralogie" liégeoise, il sera le pêcheur Gyges, invité de Candaule qui finit par le tuer pour prendre sa place. (N.B.)

 

La Libre Belgique
19/01/2006

Plus que le beau-frère de Schönberg
L'Opéra royal de Wallonie remet à l'honneur une figure essentielle de la musique viennoise du début du XXe siècle

Alexander ZemlinskyCe vendredi 27 janvier, alors que l'on fêtera partout dans le monde le 250e anniversaire de la naissance de Mozart, l'Opéra royal de Wallonie assurera la création belge d'un compositeur autrichien dont le nom est peu familier du grand public: Alexander Zemlinsky, né en 1871 à Vienne et mort en 1942 en exil près de New York.

Né d'une mère originaire de Sarajevo et d'un père d'ascendance slovaque, Zemlinsky occupa une place centrale dans la vie musicale de l'Europe centrale des premières décennies du XXe siècle. Professeur puis amant de la fameuse Alma Schindler - qui allait le quitter pour devenir Alma Mahler -, initiateur en musique puis ami indéfectible d'Arnold Schönberg (qui allait épouser sa soeur cadette), remarqué par Brahms et estimé par Mahler (qui allait assurer la création de son deuxième opéra et prévoir celle du troisième), directeur musical de la Volksoper viennoise puis de l'Opéra allemand de Prague avant de poursuivre sa carrière de chef à la mythique Kroll Oper berlinoise en compagnie d'Otto Klemperer: la biographie de Zemlinsky ressemble à un who's who du monde musical germanique entre 1890 et 1940.

Juif, Zemlinsky fut contraint de quitter l'Allemagne en 1933, puis de s'exiler aux Etats-Unis après l'Anschluss. Il espéra faire créer au Metropolitan Opera de New York son huitième opéra, "Der König Kandaules" (d'après "Le Roi Candaule" de Gide), mais sans succès. Trop moderne musicalement -bien qu'elle reste tonale ou polytonale alors que beaucoup de ses disciples étaient passés au langage sériel ou dodécaphonique - mais aussi trop osée dans son propos, l'oeuvre resta inachevée quand il s'éteignit dans l'oubli le 15 mars 1942. Il allait encore falloir attendre cinquante ans avant que l'opéra soit créé en version de concert, et quatre de plus pour voir la première production scénique.

Entartete Musik

Longtemps occulté parce qu'il représentait une branche politiquement incorrecte de la musique viennoise au XXe siècle - le maintien d'une musique tonale - la musique de Zemlinsky aura finalement été redécouverte à la fin du XXe siècle à la faveur de la réhabilitation des compositeurs bannis par les Nazis, la fameuse entartete Musik. En Belgique, l'ORW avait déjà donné en concert "Une tragédie florentine", un des ouvrages les plus connus de Zemlinsky, également donné ensuite à la Monnaie en version scénique (et en duo avec "Le nain", un autre de ses opéras d'après Oscar Wilde).

L'histoire, déjà contée par Hérodote, est celle de Candaule, riche Roi de Lydie, désireux de partager avec ses amis la beauté de sa femme Nyssia, et qui finit par jeter dans ses bras le pêcheur Gyges, qui le tuera et prendra sa place. Un livret sulfureux brassant les notions de bonheur, richesse, mais aussi voyeurisme et érotisme, une constante dans l'oeuvre de Zemlinsky. (N.B.)

 

La Libre Belgique
19/01/2006

Opéra – RARETÉ
Zemlinsky, une figure à réhabiliter
Bernhard Kontarsky est pour la première fois à Liège. Au programme, "Der König Kandaules", opéra du compositeur autrichien Alexander Zemlinsky.

Par Nicolas Blanmont

Bernhard KontarskyKontarsky? Le nom est familier: on pense à Aloys et Alfons, les deux frères pianistes qui furent notamment à la pointe de la musique contemporaine dans les années 60 et 70. "Oui, je suis le petit troisième!", confesse d'emblée Bernhard (68 ans quand même) quand il devine la question. Mais s'il lui est arrivé de travailler avec le grand maître allemand, il ne se considère pas, lui, comme un disciple de Stockhausen. "J'ai effectivement participé à certaines de ses productions à la fin des années 50 et dans les années 60, mais je n'ai pas étudié la composition, seulement le piano, la musique de chambre, la musicologie et la direction d'orchestre."

Nombreuses créations

Une étiquette que Bernhard Kontarsky assume par contre pleinement, c'est celle de chef spécialisé dans la musique du XXe siècle. Son curriculum vitae est à cet égard impressionnant: il a dirigé dans plusieurs pays l'immense "Die Soldaten" de Bernd Alois Zimmerman (sa production de Stuttgart est d'ailleurs disponible tant en CD qu'en DVD), des productions de la plupart des opéras de Hans Werner Henze ou, plus récemment encore, la création à Lyon des "Nègres" de Michael Levinas d'après Jean Genet. D'autres premières mondiales - "L'autre côté" de Mantovani ou "Faust" de Fenelon - figurent parmi ses engagements des prochains mois.

En Belgique, Kontarsky s'était déjà produit à Bruxelles, et surtout à Anvers où il dirigea (à l'époque de l'opéra d'Anvers non encore unifié sous la bannière de l'opéra flamand) "Lulu" de Berg ou "Der Prinz von Homburg" de Henze. Ses débuts à Liège, il les fera la semaine prochaine dans un autre ouvrage du XXe siècle: "Der König Kandaules" d'Alexander Zemlinsky, laissé inachevé à la mort du compositeur en 1942 et créé seulement sur scène à Hambourg en 1996. Représentée aussi au festival de Salzbourg en 2002, l'oeuvre n'avait encore jamais été donnée dans notre pays.

Premier Zemlinsky

C'est la première fois que Kontarsky dirige un opéra de Zemlinsky. Nullement par mépris pour un compositeur que les thuriféraires du sérialisme pur et dur continuent à considérer comme un postromantique attardé, mais simplement parce que l'occasion ne lui en avait jamais été donnée:

"Schoenberg, outre ses liens de famille et d'amitié avec lui, disait que tout ce qu'il avait appris en musique venait de Zemlinsky. Mais les liens me semblent plus nets encore avec la musique de Berg, et pas seulement parce qu'il a cité la Symphonie lyrique de Zemlinsky dans sa propre Suite lyrique. Certes, Zemlinsky a refusé le dodécaphonisme et le sérialisme, mais il a malgré tout une grande influence sur la musique de son temps. Sa manière de composer est commune à celle de ses contemporains: un mélange de structure et de symbole, fût-ce, ici, de manière tonale ou bitonale. Par rapport à ses contemporains, Zemlinsky a écrit dans une langue qui est la même, mais avec un vocabulaire différent."

Pour Kontarsky, il n'y a pas lieu d'opposer le tonal Zemlinsky aux atonaux Schoenberg, Berg et Webern: "Il faut comprendre l'importance du dodécaphonisme après la guerre: on le voit aujourd'hui comme un système de structure et rien de plus alors que c'était en fait tout un mode de pensée. Après la guerre, après le fascisme, il y avait chez beaucoup un scepticisme à l'égard des grandes émotions: il fallait redécouvrir la musique à travers un système que l'on pouvait éprouver." Le chef allemand insiste toutefois pour dire que Zemlinsky, mis aujourd'hui sur le même pied que Korngold ou Schrecker au titre de cette "musique dégénérée" bannie par les nazis, s'en distingue toutefois: "Korngold ou Schrecker continuent la tradition, dans la même ligne que Richard Strauss. Zemlinsky s'en écarte, il est plus moderne. Chez lui, il n'y a pas une mesure qui ne soit en relation avec une autre."

 

La Libre Belgique
25/01/2006

L'ORW réhabilite "Le Roi Candaule"
L'Opéra Royal de Wallonie monte un opéra inédit d'Alexander Zemlinsky. Une oeuvre sulfureuse et polysémique à découvrir avant le 4 février.

MARLÈNE BRITTA

ÉCLAIRAGE

Ce vendredi, l'ORW propose la création belge d'une oeuvre inachevée d'un compositeur oublié: "Der König Kandaules" d'Alexander Zemlinsky (1872-1942). Basé sur une pièce d'André Gide, "Der König Kandaules" ne fut jamais achevée par le compositeur. Juif autrichien, Zemlinsky fuit le régime nazi. Arrivé à New York en 1938, il propose sa partition au Met mais on lui fait comprendre que la pudibonderie américaine (l'opéra comprend une scène de nu intégral!) n'acceptera jamais l'ouvrage. Las, il abandonne la partition. Elle sera entièrement orchestrée par Antony Beaumont et créée en 1996 à Hambourg.

Multiples facettes

Fable sur les relations de pouvoirs teintée d'érotisme, "Der König Kandaules" met en scène Candaule, riche roi, qui veut faire partager la beauté de sa femme Nyssia. Candaule a donné son nom au candaulisme, pratique voyeuriste: une personne trouvant sa satisfaction à voir son (sa) partenaire dans les bras d'un(e) autre...

Jean-Claude BeruttiJean-Claude Berutti, metteur en scène, a longtemps travaillé en Belgique (TRM, Insas) avant de diriger (avec François Rancillac) la Comédie de Saint- Etienne. Ce passionné voit dans l'opéra de Zemlinsky une oeuvre à facettes dont il ne faut plus avoir peur. "J'aime la superposition des lectures. En premier lieu, on a une lecture psychologique, un peu scabreuse. Candaule est une sorte de pervers puisqu'il aime (sa)voir sa partenaire possédée par un autre. En 48h, ce trio s'effondre à force de vouloir transgresser les interdits. Ensuite, tout comme André Gide l'avait voulu en écrivant sa pièce en 1900, l'oeuvre peut être interprétée politiquement, autour de la question : comment le pouvoir peut donner en partage l'art, la beauté, la culture? Enfin, la troisième lecture vise à resituer la fable dans notre monde actuel, dans un milieu de gens aisés, une sorte de bourgeoisie qui cherche à dépasser son ennui."

M.Berutti plonge pour la première fois dans le monde de Zemlinsky même s'il se sent en famille avec ce compositeur: "J'ai voulu monter cet opéra. Une manière de réparer l'injustice. Pour moi, c'est une oeuvre à réhabiliter, une oeuvre bilan, bilan de sa carrière de compositeur, de ce qu'on pouvait composer en Europe dans les années 30-40... Son langage va du vérisme à l'expressionnisme, on trouve chez lui Strauss, Puccini, Weill et une touche personnelle!" Tout comme dans "Lulu", de Berg - "mais dans un langage plus compréhensible", souligne Berutti - Zemlinsky rend le sulfureux palpable et lyrique. Est aussi présente la thématique de l'invisibilité, "c'est une tragédie du regard. Gide disait qu'il ne fallait pas tricher, c'est-à-dire qu'il ne fallait pas essayer de rendre invisible ce qui doit l'être mais au contraire, montrer cet invisible. Le spectateur est dans la position du voyeur impossible celle de Candaule".