La Libre Belgique
mis en ligne le 30/04/2003

OPÉRA
Simplicité et vérité du Re Pastore
Traitement allégé pour la sérénade de Mozart : la forme sied au fond.

Critique de NICOLAS BLANMONT

En alternance avec "I due Foscari", la Monnaie propose "Il Re Pastore" de Mozart dans sa grande salle mais en version "semi-scénique": espace scénique limité, décors réduits à un double mur dont l'un s'arrête à un mètre cinquante du sol et laisse passage vers le second, presque du théâtre de tréteaux tant il est vrai que seule la direction d'acteurs fait l'essence de cette mise en scène. Non seulement, l'option fonctionne parfaitement, mais en outre elle a la vertu d'une adéquation parfaite avec l'histoire d'Aminta, ce berger de Phénicie dont on apprend qu'il est l'héritier légitime du trône de Sidon mais qui veut renoncer à ce destin royal quand il apprend qu'il devra y sacrifier l'amour d'Elisa, sa bergère bien-aimée.

Formé à l'école du théâtre, Vincent Boussard signe une belle réussite par sa capacité à aller à l'essentiel, c'est-à-dire ici la vérité des sentiments: on se réjouit d'apprendre que c'est lui qui sera associé la saison prochaine à René Jacobs pour la résurrection de l'"Eliogabalo" de Cavalli. Les costumes de Christian Lacroix ("La Libre" du 17 avril) sont à la fois classiques, sobres et élégants, leur seule audace - relative - étant de s'apparenter à l'époque de la création de l'oeuvre (1775) plus qu'à celle de l'Antiquité grecque où s'inscrit le livret.

C'est la Beethoven Academie, orchestre de chambre flamand sur instruments modernes mais rompu au répertoire classique (Christopher Hogwood les a conduits plus d'une fois), qui est dans la fosse. Elle s'en tire fort bien, nonobstant une disposition pour le moins inhabituelle: le chef Alessandro de Marchi à gauche (qui participe au continuo), violons et altos au centre en trois lignes parallèles (dont deux se font face), vents et cordes graves à droite en lignes perpendiculaires.

Jeunes

Il faut dire aussi que de Marchi excelle à exacerber les contrastes sonores et à mettre en relief tout ce que l'oeuvre peut avoir de dramatique, alors même que le drame n'est pas sa fonction première: au second acte surtout, on sort ainsi du divertissement pastoral galant (Mozart composa cette sérénade pour célébrer une visite à Salzbourg) pour rentrer vraiment dans l'opéra. La production de la Monnaie a également l'atout d'une bonne distribution, dominée par Bruce Ford (Alessandro noble et élégant), Raffaella Milanesi (bouleversante Tamiri) et Juan Jose Lopera (Agenore subtil); quelques réserves sur l'aigu souvent incertain d'Annette Dasch (Aminta) ainsi que sur l'intonation d'Isabel Bayrakdarian, qui offre toutefois au rôle d'Elisa une belle puissance. Tous ont en plus l'âge et le physique de leurs personnages: les classes du secondaire qui avaient envahi la Monnaie dans une cohue bon enfant mardi pour une matinée scolaire ne s'y sont pas trompées, qui ont réservé au plateau une ovation debout spontanée et sincère. Qui a dit que l'opéra était réservé aux vieux?

© La Libre Belgique 2003