Koelner Stadt Anzeiger
12.03.2007

Wagner als emotionale Droge
Erneut wurde an der Kölner Oper der „Ring" an zwei Tagen aufgeführt.

VON GERHARD BAUER

In der Kölner Oper gab es wieder ein dichtes Wochenende für Richard Wagner: Zum zweiten Mal seit 2006 wurde „Der Ring des Nibelungen" nicht wie üblich an vier, sondern an lediglich zwei Tagen aufgeführt. Ziel dieser Stauchung sollte sein, die Intensität des Erlebens zu steigern, die Fülle der Information und den Ablauf des Geschehens deutlicher und übersichtlicher zu gestalten. Nun, zumindest die emotionale Droge hat stark gewirkt. Das - fast ausverkaufte - Haus war vor Begeisterung permanent aus dem Häuschen, und dies auch trotz stellenweise steinerweichend dürftiger Sängerleistungen.

Erstaunlicherweise waren es die Tenöre, anderenorts meistens die Schwachpunkte, die für Furore sorgten. Stefan Vinke sang den Titelhelden in „Siegfried" fulminant. Die Kraft für die Schmiede-Lieder, die Zartheit für das „Waldweben", der Jubelton für das Finale - alles war im Übermaß vorhanden. In der Anlage ganz anders der Siegfried von Albert Bonnema in der „Götterdämmerung": Ein eher nachdenklicher Held, der durch gestalterische Intelligenz, Sensibilität und stimmliche Ökonomie schnell vergessen ließ, dass er seinen Zenit wohl schon überschritten hat. In der „Walküre" hielt Thomas Moor (Siegmund) die Ehre der Tenöre hoch. Auch im Charakterfach exzellierten die Tenöre, in Sonderheit Johannes Preißinger als Mime in „Rheingold" und „Siegfried". Vielleicht sollte man ihm einmal auch den Loge („Rheingold") anvertrauen, in welcher Partie der stimmlich nicht üble Arnold Bezuyen diesmal die Komponente des Intellektuellen und Sarkastischen denn doch vernachlässigte.

Leider ging es bei diesem Kompakt-„Ring" der Kölner Oper von den Tenören steil abwärts - nicht nur in der Stimmlage, sondern auch in der Leistungsstärke. Die Gattung der Heldenbaritone ist weltweit Mangelware, doch muss es für „Rheingold"-Wotan und „Siegfried"-Wanderer gleich ein Philipp Joll sein, der auf diesen Mangel aufmerksam macht? Auch gibt es offenbar immer weniger echte Bässe.

Und die Frauen dieses „Ring"? Da hat Barbara Schneider-Hofstetter (Brünnhilde in „Siegfried") mühelos weggesungen, was in diesen 20 Stunden in der Kölner Oper vor, neben und nach ihr auf der Bühne stand: Von „Heil dir Sonne" bis zu „Leuchtende Liebe, lachender Tod" gelang alles schlechthin grandios. Irene Theorin, die Brünnhilde in „Walküre" und „Götterdämmerung", konnte hier nicht annähernd Schritt halten.

Die große, gewaltige Musik von Richard Wagner fand wie schon im Vorjahr wesentlich im Gürzenich-Orchester unter Markus Stenz statt. Hier wurde instrumental erzählt und erklärt, gelitten und gelacht, dass es die reine Freude war. Und die Neugier wuchs schnell wieder ins Unermessliche, was denn in den „normalen" Vorstellungen am 14., 15., 16. und 18. März beim „Ring" in der Kölner Oper nun geschehen würde.

 

ResMusica
Mars 2007

[Scène] Lyrique
Le Ring en deux jours

par Richard Letawe

Das Rheingold [15/03/2007]. L’un des événements musicaux de ce week-end en Europe se passait certainement à Cologne, dont l’opéra municipal montait la Tétralogie de Wagner en deux jours. Faire le Ring en deux jours, c’est un pari que Cologne avait déjà tenté pour la première fois l’année dernière. Devant le succès de cette première tentative, qui avait attiré un très nombreux public de wagnériens d’un peu partout en Europe, l’Opernhaus de Cologne a remis le couvert cette année, rencontrant encore un impressionnant succès public international. On entendait de nombreuses langues différentes dans les allées aux entractes, en particulier le français, et d’après ceux qui étaient déjà présents il y a un an, la distribution en partie renouvelée de cette année était plus forte et plus homogène.

Les différents volets de cette production du Ring ont été créés à partir de décembre 2000 à Cologne, et ont également été vus à la Fenice de Venise. L’action est transposée dans un monde d’après catastrophe, avec champs de ruines et paysages désolés, dans lequel troupes régulières, dont Wotan est le général, et bandes armées se disputent les vestiges de la civilisation. La première scène fait un peu peur pour la suite : le Rhin est représenté par un dépotoir sur lequel règnent les filles, mi-prostituées mi-toxicos, collants troués, cheveux sales, envahies de poux et morpions. Le monde de ce Ring est misérable mais cohérent, le juste éclairage est trouvé pour que chaque scène soit bien caractérisée. Ainsi, le deuxième tableau de ce Rheingold est une réunion de chantier, sur lequel les ouvriers arrêtent leur travail dès que le maître d’œuvre fait mine d’hésiter à régler la facture. Quelques détails sont un peu inutiles mais dans l’ensemble la direction d’acteurs est intéressante et bien faite.

La distribution fait appel à bon nombre de jeunes chanteurs. Pour cet Or du Rhin en matinée, on est même frappé par l’homogénéité de ce plateau, qui dispense quelques belles satisfactions. Parmi celles-ci, tout d’abord le très lyrique Loge d’Arnold Bezuyen, triomphateur de ce premier volet, qui campe son personnage avec art, et qui avec son timbre ensoleillé, sa voix puissante et son chant stylé et gracieux est tout le contraire des ténors malingres, à la voix fatiguée qu’on entend trop souvent dans ce rôle de caractère. Très bon également, le Donner de Samuel Youn, avec sa voix franche et puissante, aux aigus faciles, et son timbre agréable. Le rôle est court, mais il est solaire durant l’entrée au Walhalla, et on se régale déjà d’avance de l’entendre plus longtemps en Gunther le lendemain. Hauke Möller (Froh) fait également bonne figure, de même que la Freia fragile mais ardente de Machiko Obata, et que les trois Filles du Rhin, aux voix sonores, et richement timbrées. Citons encore Oskar Hillebrand, à la voix assez rocailleuse, mais qui soigne son chant, et évite d’aboyer, même dans les passages les plus difficiles. Les deux géants sont très honorablement tenus, avec un Fafner générique mais sonore, et un Fasolt qui manque un peu de coffre dans les graves, mais dont le chant généreux et humain est très émouvant. A côté de toutes ces réussites, il faut regretter sans que ce soit trop gênant, une Erda chevrotante (Anne Pellekoorne), une Fricka indigeste, à la ligne de chant anarchique (Dalia Schaechter), ainsi qu’un Wotan usé jusqu’à la corde, au chant caoutchouteux, et au vibrato envahissant (Phillip Joll).

Dans la fosse, Markus Stenz, l’actuel General Musikdirector de la Ville de Cologne fait un travail très propre, en tenant bien son plateau. Il adopte des tempi globalement rapides, et sa direction ne manque pas d’allure, mais il laisse parfois la tension retomber en ne prenant pas l’œuvre d’un seul tenant, mais comme une succession d’épisodes. L’Orchestre du Gürzenich est un bon ensemble, cohérent et concentré. Même si ce n’est pas toujours la fête des timbres, et si les cuivres ont des faiblesses passagères, l’orchestre fait honneur à son rang.

Enfin, quel plaisir d’être dans une salle aussi attentive et passionnée, dans laquelle le public ne fait pas acte de présence par obligation sociale ! Les applaudissements à la fin de ce beau Rheingold sont des remerciements pour la représentation qui vient d’être jouée, mais surtout des encouragements pour ce qui est encore à venir.

Die Walküre [20/03/2007]. On a à peine le temps de reprendre son souffle à Cologne ! Trois petites heures à flâner dans les rues du centre ville après l'Or du Rhin, et il était déjà temps de rejoindre le théâtre pour le deuxième volet de ce Ring événement.

Cette Walkyrie débute par une belle surprise visuelle, avec la cabane de Hunding, figurée par un camp de guérilleros sous la neige, où Sieglinde est une cantinière, qui sert le rata dans les gamelles des hommes. La transposition est réussie, réaliste et fonctionne très bien dans le contexte de la production. Certains effets sont très convaincants, comme ces hommes armés qui disparaissent dans le fond de scène obscur comme s’ils s’enfonçaient dans la nuit. La bonne surprise est aussi vocale, avec le Siegmund vaillant de Thomas Mohr, au beau timbre cuivré, à l’aise sur toute la tessiture avec des aigus justes et puissants, décochés avec facilité, et un registre grave très riche. Face à un tel Siegmund, Riccarda Merbeth a un peu de mal à exister. Elle chante pourtant bien, mais le rôle est un peu trop bas pour elle, et on la sent toujours prudente, alors que son partenaire est en train de se consumer. Dieter Schweikart est un Hunding à la voix usée, de manière plus audible qu’en Fafner, et au chant peu incisif. Assez pâle et vieillissant, il n’aurait aucune chance durant son combat contre Siegmund sans la protection de Wotan.

Le deuxième acte nous transporte d’abord au Walhalla, dans le grand salon, à la décoration sobre mais luxueuse : un grand feu ouvert, une immense table basse et deux canapés démesurés. La vision est belle, même si on peut regretter la crudité du mur de fond en blocs de béton, qui aurait avantageusement été recouvert d’un crépi ou d’un parement pour donner une impression plus cossue. La scène de la fuite des jumeaux frappe, elle, par sa nudité : une jeep détruite sur un sol enneigé fait seul office de décor, alors que le dernier acte est simple mais efficace, un champ de bataille encombré d’armes, de casques et de cadavres, dont les plus vaillants sont relevés par les Walkyrie.

Musicalement, ces deux actes sont encore de haut niveau, avec d’abord l’entrée de Ralf Lukas. Par rapport à Philipp Joll, son collègue du Rheingold, il impose un Wotan jeune et dynamique, à la voix séduisante, fraîche et bien projetée. L’émission est franche et incisive, les phrasés sont soignés, et la diction excellente et bien articulée. Déjà actif en Donner à Bayreuth la saison dernière, ce chanteur pourrait devenir un des grands Wotan de l’avenir s’il trouve les graves qui lui font encore un peu défaut. Son épouse est encore Dalia Schaechter, plus en voix qu’en matinée, et qui ne dépare pas trop ce deuxième acte qu’Irène Theorin illumine de bout en bout, dès sa première intervention. Isolde assez fade à la Monnaie il y a quelque temps, la soprano semble avoir mangé du lion, et réalise ce soir une prestation irréprochable, alliant puissance, beauté du timbre, pureté des aigus et une implication dramatique intense. Ses nombreuses sœurs, dont certaines détonnent beaucoup, font moins bonne figure, mais ce ne sont pas les quelques minutes de leurs " hojotojo " qui vont gâcher la fête, tant le reste du plateau est convaincant, et souvent même fascinant.

La direction de Markus Stenz est encore une fois de bonne tenue : vive et nerveuse au I, un peu lourde et brouillonne au II, mais il se reprend bien au III, qu’il dirige de manière puissante et exaltante. L’Orchestre du Gürzenich assure sans trop de problème jusqu’à la fin du deuxième acte, où la fatigue commence à se faire sentir, par des imprécisions dans le jeu de cordes et par des cuivres fort débraillés. Bien remis d’aplomb durant la pause, les musiciens terminent en beauté.

Les belles promesses de l’Or du Rhin ont donc été largement confirmées par une Walkyrie d’un niveau encore plus élevé, et chaleureusement saluée par un public bouillant. Il est 22h, la journée a été longue, mais belle et exaltante, et moins éreintante que ce qu’on craignait, et on quitte le théâtre avec le sentiment de participer à une expérience rare, et presque de l’impatience d’être déjà demain.

Siegfried [27/03/2007]. Pas de grasse matinée pour les wagnériens ce dimanche à Cologne, puisque dès dix heures, ils étaient conviés au théâtre pour Siegfried, un copieux petit déjeuner.

Ce troisième volet nous semble le moins abouti de la série. Pourtant, scéniquement le début est réussi : le premier acte se passe dans une casse ou un camping désaffecté, avec une caravane au milieu des gravats, des bassines et des vieilles ferrailles. Le tableau est plutôt sordide, mais il montre bien la condition de paria retiré du monde de Mime, et dans ce décor, la direction d’acteurs est vive, variée et pleine d’humour. La suite n’est malheureusement pas aussi percutante. Le décor du deuxième acte est trop sommaire : des poteaux coupés à différentes hauteurs et dressés vers le ciel font une forêt bien peu crédible, car ils ont tous le même diamètre. De plus, ils sont mal répartis, et ceux placés sur le devant de la scène auraient dû être plus courts, afin de ne pas masquer la vue. Tout cela manque autant de poésie que de réalisme. Le début du troisième acte est un peu fastidieux, avec une rupture de la lance de Wotan (ici une canne à pommeau d’argent) par Siegfried assez maladroite, mais la fin est meilleure. Siegfried traverse les flammes, et rejoint Brünnhilde, allongée sur un sol nu en terre battue de couleur chaude. C’est beau, simple et sensuel, et rappelle une des meilleures mises en scène de Robert Carsen, Jenufa au Vlaamse Opera, dont la scène finale donne la même impression de libération et de bonheur.

Du côté des chanteurs, c’est également un peu moins passionnant que la veille, car personne ne réalise de prestation vraiment mémorable. On retrouve sans plaisir Phillip Joll en Wanderer, toujours aussi pâteux, ainsi que la trémulante Anne Pellekoorne en Erda, qui passe la serpillière dans le palais de Wotan. Leur dialogue est sûrement la partie la plus fastidieuse de ce Ring, d’autant que visuellement, cette scène grise, triste et prosaïque n’a pas grand attrait. Les autres sont meilleurs, à commencer par l’Alberich très bien tenu d’Oskar Hillebrand, et par le Fafner peu mémorable mais correct de Dieter Schweikart. Mime est interprété par Johannes Preissinger, au timbre un peu ingrat, mais qui chante juste, et caractérise son personnage, tant vocalement que scéniquement. Ses talents d’acteurs sont bien mis à contribution dans la scène très drôle durant laquelle il prépare le poison qu’il destine à Siegfried.

Stefan Vinke tient le rôle de Siegfried, avec talent, et de façon très crédible. La voix n’est pas extraordinairement séduisante, d’émission un peu dure, mais le chanteur est vaillant, puissant et endurant, les aigus sont justes et forts, et il sait faire preuve de souplesse et de légèreté quand c’est nécessaire. Il est à son meilleur dans les pages les plus douces : son dialogue avec l’oiseau (une jolie Insun Min), ainsi que le réveil de Brünnhilde, où il se montre tendre et héroïque. Barbara Schneider-Hofstetter est une Brünnhilde très différente de celle d’Irène Théorin qui tient le rôle dans les autres volets : la voix est plus sombre et plus charnelle, avec des graves bien présents, mais une ligne de chant un peu relâchée, manquant de distinction, et des aigus un peu scabreux. Sa prestation est cependant séduisante et intéressante, même si elle souffre un peu de la comparaison avec sa collègue, qui évolue à un niveau bien plus élevé.

La direction de Markus Stenz est solide et puissante, vive et précise au premier acte, mais manque un peu de couleurs et de poésie dans les deux suivants. Le Gürzenich-Orchester se tire encore une fois avec les honneurs de ces longues heures de musique. Les cordes sont belles et très homogènes, phrasant avec beaucoup de soin, et les cuivres sont brillants et font peu de fautes. Petit bémol pour les bois, de sonorité assez aigre, et assez souvent en problème d’intonation.

Après plus de douze heures de musique, le public de ce Ring est toujours aussi nombreux (les travées sont toujours pleines, et personne ne semble avoir déclaré forfait), et toujours aussi fervent, applaudissant frénétiquement chaque protagoniste de cette représentation de bon niveau.

Götterdämmerung [18/03/2007]. Le Ring en deux jours, c’est une épreuve pour les artistes bien sûr mais également pour les spectateurs. Heureusement, la direction de l’Opéra de Cologne bien a prévu pour les entractes et pour les intervalles entre les œuvres des salons de repos et un service de restauration.

Scéniquement, ce Crépuscule des Dieux est encore de très bonne facture, et contient quelques scènes très réussies, dont le prologue, qui reprend le thème de la scène entre Wotan et Erda dans Siegfried : le Walhalla est en liquidation totale, tout le mobilier est empilé, et les Nornes-femmes de ménage passent la serpillière en attendant qu’on débarrasse les encombrants. Les scènes dans le palais des Gibischungen sont également très belles. Celui-ci est une réplique du luxueux Walhalla de Walküre, mais le cadre est plus militaire et plus austère. Un bureau digne d’un empereur a remplacé les canapés, des drapeaux sont déployés, et des cartes d’état-major couvrent les murs gris. Dans ce beau décor, les mouvements de foule sont bien réglés, les acteurs crédibles, et le rêve de Hagen, somnolant dans le fauteuil de Gunther, très bien réalisé.

Pour ce dernier volet, la distribution réalise des prouesses, et hisse ce Crépuscule au sommet de ce week-end, loin devant les autres journées, pourtant déjà fort belles. La seule déception véritable est causée par Albert Bonnema en Siegfried. La voix est dure et métallique, le chant rugueux et peu élégant, et il fait entendre quelques couacs dans les aigus. Il est assez crédible scéniquement, et va au bout de son rôle, avec puissance et vaillance, mais ce chant sans nuances est bien fatigant, et la comparaison avec Stefan Vinke est cruelle, bien que ce dernier n’ait pas été du tout exceptionnel. Nous ne nous étendrons pas sur la toujours insuffisante Dalia Schaechter, qui assure deux rôles pour cette journée. Endurante, elle est une Waltraute à l’expressionnisme vocal outrancier, et une première Norne gutturale. Ce trio de Nornes est d’ailleurs assez désaccordé, franchement peu intéressant, et augure mal d’une représentation dont la suite va pourtant être formidable.

Il y a beaucoup d’éloges à faire du reste du plateau, à commencer par Samuel Youn, dont on attendait beaucoup après son superbe Donner. Il est un peu moins à l’aise en Gunther, qui sollicite plus un registre grave qui n’a pas encore toute l’étoffe nécessaire. Cependant, le chant est toujours aussi royalement stylé, et les aigus ont tout l’éclat et la vaillance nécessaires. De plus, il habite son personnage, nuancé, profond et subtil. James Mœllenhof a le problème inverse : des aigus assez forcés, mais un grave riche et profond. Le chant est puissant, investi, mais jamais beuglé, et toujours très contrôlé. Il se trompe un peu dans ses appels, et sa phrase finale est escamotée par la production, ce qui lui vaut quelques huées très injustes. On compte encore dans cette distribution le très bon Oskar Hillebrand en Alberich, Regina Richter, une Gutrune à la voix pleine et chaude, sans acidité, ainsi que des filles du Rhin fraîches et séduisantes.

Ce beau plateau ne serait rien sans une grande Brünnhilde, et Irène Theorin l’est ici, encore plus que dans la Walkyrie de la veille. La voix est fine et claire, mais aussi puissante et solide, et elle n’a aucun mal à dominer un orchestre pourtant déchaîné. Elle accapare l’attention dès sa première apparition sur scène, est une amoureuse très crédible avec Siegfried, mais se montre émouvante et impérieuse quand elle l’accuse de trahison. C’est cependant son immolation qui restera gravée dans les mémoires : à rideaux fermés, elle est seule face au public, et donne tout ce qu’elle peut, en ne sacrifiant jamais une seule seconde la qualité du chant. C’est intense, bouleversant, et les spectateurs savent devant cette chanteuse qu’ils ne l’oublieront jamais.

La direction de Markus Stenz continue à être équilibrée, fiable et efficace. Le chef ne marque pas vraiment les esprits, mais il va au bout du parcours, sans accroc, en ménageant ses troupes. L’Orchestre du Gürzenich arrive cependant dans ce dernier volet à ses limites de résistance, étant de plus en plus confus et fatigué. Les cuivres sont ceux qui ont le plus souffert, livrant quelques passages proches du chaos, dans les interludes orchestraux principalement.

Le public est encore une fois formidable ce soir, attentif et enthousiaste, il participe pleinement au spectacle, communiquant son amour et son envie à ses acteurs. Les ovations entre les actes et au rideau final sont longues, chaleureuses et pleines de gratitude, et une belle standing ovation se déclenche lorsque apparaissent sur scène Markus Stenz et son valeureux Gürzenich-Orchester.

On est dimanche, il est presque minuit. Trente six heures plus tôt, ce Ring inoubliable n’avait pas encore commencé. On sort de cette expérience passionnante ravi, fatigué, et reconnaissant à l’Opéra de Cologne d’avoir tenté ce pari qui semble insensé, et dont le niveau artistique est de très haut niveau, alors qu’on aurait pu croire au départ qu’il serait sacrifié devant la performance qu’on peut qualifier de " sportive ".

Notre conseil pour terminer : wagnériens passionnés ou wagnériens plus néophytes, si l’Opéra de Cologne retente un jour ce pari, courez-y, vous ne le regretterez pas !

 


Cologne, 10 & 11 Mars 2007

Marathon wagnérien

La performance relève de l’exploit, pour le théâtre comme pour le spectateur : représenter l’intégralité de la Tétralogie wagnérienne – 4 opéras, plus de 14 heures de musique – en deux jours, du samedi midi au dimanche minuit. Initiée en 2000 et achevée quatre ans plus tard, la production de Robert Carsen pour l’Opéra de Cologne trouve ainsi un nouvel accomplissement. Au-delà de la prouesse, technique et physique, l’expérience offre une occasion rare d’appréhender le cycle dans sa globalité sur une courte durée et ainsi de mieux percevoir la vision du metteur en scène car depuis Patrice Chéreau, le fait est entendu : pas de Ring sans message. Alors justement, quel est celui de Robert Carsen ?

Au terme de ce marathon, face au rideau fermé devant lequel Brünnhilde s’immole, la réponse se confirme : il n’y en a pas ! L’anneau du Nibelung, pour le metteur en scène canadien, est constitué d’une succession de scènes qui forment une histoire sans plus de signification ; comme Bob Wilson à Paris l’année dernière d’ailleurs, à la différence que Robert Carsen ne se réfugie jamais dans l’abstraction. Tous les éléments du livret, ou presque (1), sont respectés avec un grand souci du détail, des pommes de Freia jusqu’à l’oiseau empaillé et un peu ridicule qui guide Siegfried dans la forêt.

Les décors évoquent un monde en état de siège, celui d’une troisième guerre mondiale qui se déroulerait à notre époque. Le Rhin ressemble à une décharge ; Siegmund et sa famille déambulent en vêtements de combat - pantalons de treillis et tenue de camouflage - les Nibelungen ont l’allure de SDF – Mime habite d’ailleurs une caravane (2) que ne renieraient pas Les enfants de Don Quichotte. Ce réalisme violent n’empêche pas la force, voire la beauté de certaines images : le prélude de L’or du Rhin – des hommes vêtus de gris traversent la scène de gauche à droite, de plus en plus nombreux au fur et à mesure que la musique accélère – la montée des dieux vers le Walhalla sous un rideau de neige tandis que Wotan et Fricka esquissent un pas de valse, l’intrusion de soldats et de chiens policiers dans la demeure de Hunding transformée en camp militaire ou encore, à la fin de l’oeuvre, le dialogue dans l’obscurité entre Alberich et Hagen endormi. Malgré ces moments de génie et une direction d’acteurs remarquable – rarement les filles du Rhin n’ont paru aussi liquides - la production de Robert Carsen atteint souvent ses limites quand il s’agit, par exemple, de représenter le rocher de Brünnhilde - vaste et vide paillasson que le metteur en scène ne parvient pas à habiter – ou l’embrasement du Walhalla. Le choix du rideau fermé apparaît alors comme un constat d’échec.

Heureusement, d’un point de vue musical, la distribution des quatre œuvres, quant à elle, ne présente pas la moindre faille si ce n’est le Siegfried chancelant d’Albert Bonnema dans Le Crépuscule des Dieux. Equilibrée, homogène, d’une qualité largement supérieure à celle du Châtelet la saison dernière, elle brille par la présence de quelques chanteurs exceptionnels. On relève, pour commencer, le nom de Samuel Youn, Donner puis plus tard Gunther impérieux au métal unique et précieux. L’interprétation peut sembler parfois monolithique mais les deux rôles n’appellent pas plus de caractérisation. Arnold Bezuyen, à l’inverse, présente un Loge bigarré dont les couleurs changeantes savent traduire la complexité du personnage. Dans La Walkyrie , Thomas Mohr possède le profil idéal de Siegmund : héroïque mais suffisamment sombre pour se distinguer de son fils avec, cerise sur le gâteau, des " Wälse ! " d’une longueur à couper le souffle. Irène Théorin franchit allégrement l’obstacle des premiers " Hojotoho ! " de Brünnhilde. Moins à son avantage ensuite durant la première journée, comme désengagée, il faut attendre Le Crépuscule des Dieux pour qu’elle donne sa pleine mesure, dans le duo avec Waltraute d’abord puis surtout lors du deuxième acte qu’elle enfièvre par sa vaillance jusqu’à l’air final où le chant atteint sans peine les notes les plus élevées. Loin de la lame épaisse mais tranchante d’une Astrid Varnay à laquelle peuvent s’apparenter – en plus émoussées – certaines titulaires du rôle aujourd’hui (Lisa Gasteen, Linda Watson…), la voix évoque un fleuret plutôt qu’une épée, précise dans l’aigu, souple et solide sur toute la tessiture avec un éclat argenté qui donne à la fille de Wotan jeunesse et féminité, deux qualités souvent mises à mal par les exigences de la partition. Barbara Schneider-Hofstetter propose un autre portrait de Brünnhilde dans Siegfried, plus sensuel, presque voluptueux. L’étoffe vocale se déploie somptueuse ; seule fait défaut la franchise de l’aigu. Impossible enfin d’oublier le bouillonnant Siegfried de Stefan Vinke qui offre au héros wagnérien ce mélange complexe d’ardeur juvénile, d’audace et d’innocence. Avec un tel tempérament, le ténor éprouve plus de difficultés à traduire les tourments intérieurs du personnage mais l’énergie démontrée tout au long de l’opéra – et Dieu sait si le rôle est épuisant – balaye tout sur son passage.

Markus Stenz peine à discipliner les cuivres du Gürzenich Orchester Köln mais, bon an mal, parvient à triompher des vents et marées wagnériens. Sa direction, inébranlable d’une oeuvre à l’autre, joue l’équilibre, sonore avec un excellent rapport entre la scène et la fosse, mais aussi dramatique, sans abus de lyrisme ou d’introspection.

Enfin, ultime épreuve pour celui qui ne parle pas allemand, l’ensemble du cycle est présenté sans surtitres. Preuve au choix que le public connaît son Wagner sur le bout de doigts, que la diction des chanteurs est infaillible ou que l’Opéra de Cologne ne dispose pas des moyens nécessaires. Peut-être les trois à la fois ?

Christophe Rizoud

(1) Parmi les quelques infidélités, Wotan n’est plus borgne. Plus gênant, Hagen ne se jette pas dans le brasier à la fin de Götterdämmerung pour récupérer l’anneau. Musicalement, il en perd – c’est dommageable – sa dernière réplique. Scéniquement, il ne meurt pas, ce qui touche au contresens.

(2) Pour l’anecdote, la caravane en question a donné lieu à une scène cocasse. Elle est largement utilisée lors du premier acte de Siegfried. Mime y entre et y sort de nombreuses fois, notamment lors de son duo avec le Wanderer. A un moment, Johannes Preißinger, pris dans le feu de l’action, a claqué la porte avec une telle violence que la poignée est tombée par terre et qu’il s’est retrouvé enfermé à l’intérieur de la roulotte. Tout en continuant de chanter, Philip Joll a alors tenté, l’air de rien, de débloquer la situation mais en vain. Preißinger pour s’en sortir a finalement été obligé de sauter par la fenêtre à la plus grande joie des spectateurs.

 

Il giornale della musica
12 marzo 2007

Dopo la catastrofe

Torna "L’anello del Nibelungo" eseguito integralmente in due giornate dai complessi dell’Opera di Colonia. Occasione imperdibile per godere della straordinaria coerenza stilistica del capolavoro wagneriano nell’appassionante produzione di Robert Carsen e Patrick Kilmoth. Un trionfo personale per il direttore Markus Stenz, dedicatissimo e instancabile timoniere, che guida al successo con mano sicura il nutrito cast e la Gürzenich Orchester in forma smagliante.

Foto di scena dal Siegfried di ColoniaA distanza di un anno, l'Opera di Colonia riprende con immutato successo "L'anello del Nibelungo" in due giorni nella straordinaria messa in scena di Robert Carsen e Patrick Kinmonth. Impresa titanica, seguita da un pubblico attento ed entusiasta, che dà a quest'opera monumentale la giusta dimensione e ne fa cogliere i legami e la profonda coerenza stilistica.

L'appassionante e radicale visione di Carsen rende giustizia al grande respiro della narrazione wagneriana e appassiona grazie alla sapienza drammaturgica e all'incalzante scansione cinematografica delle scene. Rispetto alla lettura storicistica di Chéreau del 1976 che finiva con una visione positiva di un popolo pronto a ricostruire il mondo, in Carsen l'inizio è già una fine, è il giorno dopo la catastrofe, è un mondo di macerie coperte da una fitta neve post-nucleare con dèi-borghesi persi in sterili riti di morte. Sopravvissuto al disastro, Wotan fallisce la sua missione di riscatto poiché rifiuta di costruire un nuovo ordine fondato sull'amore. Gli struggenti abbracci di Wotan al cadavere di Siegmund e alla figlia Brünhilde nella neve nel finale della Walküre (vero nodo drammaturgico per Carsen) sono la dolorosa presa d'atto del suo fallimento. Neppure nel nuovo ordine imposto da Hagen, non ci sarà spazio per l'amore e la maledizione dell'oro porterà ad una nuova e stavolta definitiva catastrofe: le fiamme divoreranno le tracce della civiltà degli uomini, prima che uno spettacolare diluvio cancelli ogni traccia di questo epocale fallimento.

Impossibile elencare tutti gli interpreti vocali, il cui impegno va elogiato in blocco. Va citata almeno l'ammirevole prova della Gürzenich Orchester diretta con infaticabile slancio dal direttore Markus Stenz, salutati trionfalmente alla fine di quasi 20 ore di lavoro.

Stefano Nardelli